« Le déroulement de ma vie s’est effectué à force de volonté »
Les trajectoires de la vie sont parfois étranges et elles se sont appliquées pour ce portrait. Le réd’ en chef du Journal de la Région de Cossonay m’avait parlé d’un gars de Corseaux, Edmond Fahrni, ayant financé et ouvert une école en Inde. L’évocation de ce nom m’a fait revenir quelque 60 ans en arrière sur la pelouse du FC Forward Morges: il s’agissait bien de celui avec qui j’avais joué une saison sous les couleurs Rouge et Blanc! «Ces années foot, c’était une échappatoire, une école de vie et la possibilité d’être avec les copains le samedi et le dimanche, sachant que mes parents travaillaient», explique Edmond, dont l’histoire commence le 27 janvier 1946. Mais elle prend tout de suite une tournure étrange puisque ses parents l’abandonnent à l’âge de deux mois et qu’il est recueilli par des vanniers. La gendarmerie le retrouve deux ans plus tard à Coinsins. «De cette période, je ne garde aucun souvenir et ma vie prend vraiment naissance à Morges auprès de parents adoptifs de conditions fort modestes.» Pour aider ces derniers, dès l’âge de huit ans, il a occupé divers petits jobs. Au terme de sa scolarité, Edmond a entrepris un apprentissage de commerce, travaillé dans la branche, puis il a obtenu le brevet fédéral de comptable. Impliqué dans la vie de la société, Edmond a fonctionné comme commandant du feu à Corseaux, secrétaire du Conseil communal, curateur, tuteur, juge-assesseur. Membre de divers conseils d’administration, il a aussi enseigné dans des écoles professionnelles. Père de deux enfants adultes, il est devenu un «triple grand-papa».
Au fil du temps, le goût des voyages lui a fait prendre conscience de situations de vie dramatiques. Une séquence revient en mémoire et constitue un déclic quand il voit en Inde un petit garçon muni d’un cornet sortant d’un dépôt de briques situé au bord d’une route.
Ces images ont fait ressurgir un désir profondément enfoui en lui depuis des décennies: «Apporter du bonheur aux plus démunis, car c’est de ce milieu que je suis issu et que j’ai vécu mes premières années.»
En 2013, lors d’un long voyage en Inde du Sud, le chauffeur, lui fait visiter l’école de son village. «On arrive à l’improviste, la maîtresse nous accueille. Si les moyens sont rudimentaires, les ouvrages scolaires très limités, les installations sanitaires inexistantes, une chose merveilleuse me frappe: la beauté des enfants, leurs sourires spontanés et des yeux qui brillent de mille feux.» C’est décidé, il investira dans la construction d’une école, se souvenant aussi d’une citation de Victor Hugo: «Là où l’on construit une école, on ferme une prison.»
À partir de ce moment-là, les choses vont aller très vite. L’Association Graine d’Espoir naît à la suite du cheminent personnel d’Edmond Fahrni et, le jour de ses 70 ans, il concrétise son rêve par l’inauguration du bâtiment financé entièrement grâce à la vente d’un terrain valorisé.
Actuellement, d’autres projets sont en cours ou esquissés avec des associations et fondations. Aujourd’hui, Edmond se déclare apaisé et «tranquille»: «Abandonné au bord de la route à deux mois, le déroulement de ma vie s’est effectué à force de volonté, de persévérance, d’honnêteté et de confiance en moi. Travailler avait pour but d’aider mes parents, mais aussi d’éviter de mal tourner.»
Acceptant les caprices de sa destinée, Edmond a donc mis ses forces à développer ses connaissances et à être au service du prochain. Ses actions traduisent finalement un sentiment plein d’amour pour ses parents adoptifs quand il dit : «J’ai ainsi pu leur rendre hommage, car ils m’ont tout appris. Mission accomplie, quel bonheur!»
Claude-Alain Monnard