Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Ces mots initiant «La Bohême» de Charles Aznavour résonnent dans ma tête au moment de vous parler du Café des Bains, à Cossonay, un café que je n’ai pas connu, mais que Jacqueline Martignier, sa dernière gérante (de 2003 à 2013), m’a décrit avec une nostalgie si touchante que ce lieu historique de la Vieille Ville de Cossonay s’est vite matérialisé dans mes pensées.

Cela dit, en optant pour un titre d’Aznavour en début d’article, j’ai commis une faute de goût sachant que Mme Martignier est fan de Johnny Hallyday! Alors, recommençons en choisissant une chanson écrite par Aznavour pour Johnny il y a exactement soixante ans. Son titre? Vous le connaissez, c’est: Retiens la Nuit…

Un lieu populaire par excellence

Pour le bonheur de nos deux cœurs, arrête le temps et les heures, je t’en supplie, à l’infini, retiens la nuit…

Ces paroles doivent résonner chez pas mal de gens ayant fréquenté le Café des Bains. Des gens qui ont passé des soirées mémorables dans ce bistrot au numéro 9 de la Petite Rue. Pas mal de gens qui ont profité de ces heures nocturnes pour refaire le monde.

Car, au final, chacun possède dans son histoire personnelle «son» Café des Bains, quel que soit le nom de l’établissement. Chacun possède la culture d’un bistrot, lieu de vie où l’on croise des personnes de différents milieux, de différentes origines, de différentes générations; un lieu de vie où chacun est libre d’être soi-même, où l’on peut se retrouver entre amis en n’étant ni chez les uns ni chez les autres, mais dans un espace de liberté où l’on peut parler à l’autre d’égal à égal, sans pesanteur et en étant disposé à passer un bon moment de partage et de détente.

Dans ce type de lieu, il faut toujours un(e) capitaine, quelqu’un qui accueille les gens, qui les taquine, les dorlote, les console, les écoute, les comprend, les encourage, les réconforte… Ah oui, et accessoirement leur sert à manger et à boire. «Les clients sont tous devenus des copains et des copines. Le Café des Bains était le lieu populaire par excellence, où l’on s’arrêtait pour l’apéro en fin de journée, où l’on dégustait les pizzas ou les filets de perches du Lac de Neuchâtel, où l’on parlait de tout et de rien, où l’on a vécu des soirées inoubliables, où parfois on continuait à pédzer après l’heure de fermeture et les volets fermés! C’est bien simple: ce café avait une âme…», se souvient Jacqueline Martignier avec émotion, consciente que le rôle d’une tenancière d’un café-restaurant comme celui-ci (et comme tant d’autres), c’est de faire preuve d’humanité et de fraternité avant toute chose.

Les animations de René Guignet

L’ancienne tenancière se remémore en vrac des repas de cagnotte dans cet espace au rez-de-chaussée comprenant une salle à boire 30 personnes et une salle à manger pour 20 convives; elle se rappelle les formidables animations concoctées par René Guignet, qui avait repris par exemple la Chanson de Gilles pour la transformer en «À l’enseigne du Café des Bains». Avec ce refrain (et là, chère lectrice ou cher lecteur, à toi de le chantonner pour de bon afin de te mettre dans l’ambiance):
Tout l’monde s’en fout, y a du bonheur, y a de l’ambiance au café du coin; Tout l’monde s’en fout, y a du bonheur, à l’enseigne du Café des Bains; L’accordéon joue en majeur, les refrains de ce vaste monde; Y a Jacqueline et son beau tablier, à l’enseigne du Café des Bains…
Mme Martignier se rappelle aussi les enveloppes décorées et dessinées que lui a envoyées, sous le titre de L’Art Postal, l’artiste Mantegazza, alias Edouard Hédiguer à Lausanne; et puis, elle a le souvenir de ces moments passés en cuisine, à préparer des bons petits plats, avec son fils Yves et son épouse Denise qui l’assistaient notamment pour les pizzas.

Un souvenir lumineux

Alors d’accord. Le Café des Bains, c’est fini. Après le départ de Jacqueline, le bistrot a été transformé en appartement. Mais son souvenir demeure. Le souvenir d’un endroit vraiment sympa, vraiment typique, vraiment fraternel, vraiment populaire… Un endroit vraiment vrai. En somme, ne jetons pas le bébé avec l’eau du… Café des Bains! Le souvenir lumineux que l’on garde est la meilleure preuve qu’il est toujours présent dans les mémoires de celles et ceux qui l’ont connu.

Pascal Pellegrino

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