«Comment ça va, toi?»
«Bien, merci et toi?»
Quel menteur je fais…

Non, ça ne va pas bien! Même pas bien du tout! J’en ai ma claque de cette situation assommante. J’en ai marre de ne plus pouvoir aller au restaurant, ni au fitness; je suis malheureux de voir s’annuler l’un après l’autre les spectacles pour lesquels j’avais loué des places il y a une année; je crève d’envie de faire partie d’un public dans une salle de théâtre ou de cinéma, j’en viens à maudire les écrans de toutes sortes qui remplacent les gens que j’aime en face de moi, pour une réunion, pour discuter en croquant une morse au restaurant ou en buvant l’apéro… Je veux ressentir à nouveau le souffle et la chaleur d’un orchestre symphonique, voir les perles de sueur couler sur le front de comédien(ne)s en représentation. Et puis aussi: ras-le-bol de ne plus faire la bise, de ne plus serrer la main et de devoir s’asperger de gel hydroalcoolique à chaque entrée dans un local (mais bon, si c’est la condition sine qua non pour que ça rouvre, ce sera un moindre mal).

Même si je reste optimiste, là j’étouffe dans cette cage transparente. Pire que ça: nous les Suisse(sse)s qui ne gueulons jamais pour rien, qui prenons sur nous, qui faisons le gros dos et accueillons chaque prolongation du semi-confinement en soupirant durant une seconde, puis en se résignant dans la seconde d’après, nous les Suisses sommes une nation rêvée pour un gouvernement. Ce dernier peut même lancer: «On dégage des millions pour vous aider» sans que l’aide arrive effectivement (et cela depuis des mois)… et on ne gueule toujours pas! C’est comme si on culpabilisait de devoir se plaindre. Le gouvernement fait ce qu’il peut. On attend que passe l’orage.

Puisque l’on parle du Conseil fédéral, je ne parviens plus à l’entendre répéter sans cesse: «Nous vous comprenons». Non, ce n’est pas le cas. Ou alors seulement si on limite la compréhension au fait de percevoir une situation par l’esprit et par le raisonnement. Mais, dans le cas présent, une compréhension qui soit mêlée d’empathie et d’une réelle prise en compte de la torpeur ressentie dans cette salle d’attente géante qu’est devenue la planète, non. Dans les mots du gouvernement, je ne perçois pas cette compassion.

Petit exemple pour illustrer mon propos. Vous souvenez-vous de cette scène de «La Chèvre» (film de Francis Veber) dans laquelle Pierre Richard s’enfonce peu à peu dans des sables mouvants sous le regard de Gérard Depardieu (photo), situé à côté de lui, sur la terre ferme. Eh bien, comme Pierre Richard, notre société est engluée dans ce pétrin depuis plus d’une année, et dans la peau de Depardieu, le Conseil fédéral nous répète à voix basse: «Soyez assuré(e)s que l’on comprend votre situation».

On le sait, que vous la comprenez, notre situation! Mais, c’est quand que vous nous en sortez?

«Il y a d’autres priorités» Ou plutôt il n’y en a qu’une seule, la priorité sanitaire. Toutes les autres priorités s’effacent devant elle. Et on est priés de ranger notre désespoir dans le tiroir des affaires secondaires.

Le problème, c’est que ça ne va vraiment pas bien. La patience a des limites et, pour de nombreuses personnes ne pouvant pas se permettre le luxe de patienter sans subir de conséquences, la patience a de graves répercussions.
À l’intérieur, on déprime. À l’intérieur, on n’en peut plus. À l’intérieur, on devient fou. Il s’agit maintenant que l’on entende cette voix et que le Conseil fédéral «ne profite pas» plus longtemps de notre compréhension et de notre résilience. Pour reprendre la scène de «La Chèvre», cher Gouvernement, muez-vous en Gérard Depardieu et sortez-nous vite – Pierre Richard que nous sommes –, de ces sables mouvants dans lesquels on est prisonniers. Arrêtez d’imaginer juste une ouverture des terrasses au 1er avril et puis le reste un mois plus tard. Stop! Maintenant que vous avez évoqué une porte de sortie au lundi 22 mars, eh bien faites en sorte que tout reprenne à cette date.

Qu’arrivera-t-il si le 12 mars prochain (date choisie pour annoncer un assouplissement plus rapide), vous nous refaites le coup du: «Nous comprenons vos difficultés, mais la situation épidémiologique ne nous permet pas encore de…» Honnêtement, je ne sais pas ce qui arrivera et je ne me risquerai pas à un pronostic. Simplement, il y a des limites à tout. Même à la résilience silencieuse des Suisses.

Dans l’entretemps, le Journal de la Région de Cossonay, consacre cette semaine encore une double page aux restaurants de notre région proposant une offre de plats à l’emporter (en tout cas ceux qui nous ont contactés – c’est toujours possible de le faire pour les autres). Dirigez-vous en pages 12-13 et surtout, chères lectrices et chers lecteurs, dans la mesure de vos possibilités, jouez le jeu et continuez de commander des plats à l’emporter! Ce sont ces petits gestes, multipliés par le plus grand nombre, qui feront une différence.
Merci pour votre solidarité!

Et normalement, comme la vie d’avant reprendra le 22 mars, nous cesserons la parution de cette double page le 19 mars… Comment ça, j’ai écrit «normalement »? Est-ce à dire qu’au fond, je n’y crois pas? Que nenni.

«Normalement», cela veut dire qu’il n’y a rien de plus normal qu’un gouvernement vise l’intérêt général. Or, le prolongement de la situation de déprime actuelle doublé de l’endormissement obligatoire de nombreuses activités économiques, ne va clairement pas dans ce sens.

La seule normalité qui prévaut, c’est de tout rouvrir le 22 mars.

Pascal Pellegrino, Rédacteur en chef et éditeur délégué
pascal.pellegrino@journalcossonay.ch

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