Ecole d’agriculture et de viticulture et Ecole Ménagère

Il y a ceux pour qui c’était un passage obligé pour décrocher un CFC agricole ou viticole. Celles qui voulaient acquérir de solides connaissances pour tenir un ménage, suivre les traces de leur mère, ou simplement découvrir tout autre chose. Mais pour tous, l’école de Marcelin, à Morges, a été bien plus que cela. «J’y ai appris plein de choses, c’est un peu la base de la vie», sourit Chantal Tétaz, 35 ans, présidente de l’association des anciennes Marcelines. Sa maman Katherine, qui a fréquenté l’Ecole ménagère – aujourd’hui le Centre d’enseignement des métiers de l’économie familiale (Cemef) – bien des années avant elle, se souvient de «cette camaraderie qui était très forte».

Lieu emblématique

Il faudrait un livre entier pour consigner toutes leurs anecdotes. Pour dire tout leur attachement, également, à cette institution presque centenaire qui quittera Morges d’ici quelques années. «C’était une fierté d’avoir fait Marcelin», lâche Pascal Rossy, qui a terminé l’Ecole cantonale d’agriculture en 1995 (aujourd’hui Agrilogie). Le lieu était si emblématique que, jadis, tout le gratin vaudois se pressait aux promotions: «Il y avait toujours au moins un conseiller d’Etat, le syndic de Morges et le préfet. C’était un endroit où il fallait se montrer», se souvient Albert Trolliet, qui y a enseigné de 1971 à 2010.

Séparation des genres

S’il y a bien une chose qui a marqué celles et ceux qui ont étudié à Marcelin, c’est la séparation des genres.

Historiquement, l’école ménagère se trouvait dans le même bâtiment que l’école d’agriculture. Et tout était fait pour éviter les rencontres fortuites entre les deux catégories d’élèves. «À l’époque, les filles n’avaient pas leurs pauses au même moment que les garçons, raconte Albert Trolliet, 74 ans, qui a étudié à Marcelin avant d’y enseigner. Et elles n’avaient pas le droit d’utiliser les mêmes couloirs. On ne se rend pas compte de ce qu’était la société quand j’avais 20 ans, c’était un autre monde!»

Lorsque ces demoiselles devaient se rendre au poulailler de la ferme, elles devaient revêtir de grosses vestes militaires «pour ne pas faire trop envie aux jeunes hommes»!

En 1966, la construction d’un nouveau bâtiment pour l’école ménagère a résolu le problème. Enfin pas tout à fait, puisque chacun rivalisait d’ingéniosité pour se voir en cachette. «Dans les rencontres d’anciens, tout le monde parle de ces rencontres au coin des vergers, sans attirer l’attention des surveillants», narre Pascal Rossy.

Chantal Tétaz ne l’a pas vécu, mais elle aussi a entendu parler de ces assemblées secrètes. «Les anciennes racontent qu’elles utilisaient des échelles pour aller voir les garçons, et inversement. Ça devait être mythique!»

Ordre et discipline

“Je n’ai jamais proscrit les réunions de filles et de garçons», assure toutefois Pierre-Yves Bachmann, directeur du site de 1966 à 1995. Il en veut pour preuve les camps de ski et visites à l’étranger qui réunissaient tout le monde. Cela dit, à Marcelin, il fallait filer droit. «Les dames plus âgées que ma maman disent que c’était leur service militaire. C’était très strict. Tous les matins, elles devaient chanter la chanson de Marcelin», note Chantal Tétaz.

Durant l’hiver 1979-1980 où elle y a étudié, Katherine Tétaz a trouvé qu’il y avait encore une sacrée rigueur. «On se levait le matin à 6h. On devait faire le déjeuner et, à 8h, il fallait avoir récuré les sols, lavé la salle de bain à fond et être prêtes pour les cours.»

Et à midi, pas question de se mettre à dîner avant que le directeur n’ait actionné la cloche. Quinze ans plus tard, la sonnette avait disparu, mais pas le rituel du repas: «Quand j’y étais, les filles servaient encore les professeurs à table, et ils les notaient. Tout le corps enseignant mangeait au centre du réfectoire et surveillait ce qui se passait. C’était ordre et discipline!», lance Pascal Rossy. Pas de quoi, toutefois, ternir les souvenirs des anciens élèves. «C’était assez corseté mais quand même très sympathique», glisse Albert Trolliet.

Avec les années, l’étau s’est desserré. En 2005-2006, l’ambiance était même franchement bon enfant, selon Chantal Tétaz: «Pour moi, c’était une expérience de vie assez cool! Et ce qui me reste, c’est tous les rires qu’on a eus…»

Le mystère des 10 balles

Les règles, on l’a dit, n’empêchaient pas ce petit monde de n’en faire parfois qu’à sa tête. Albert Trolliet se rappelle de ce jour où il manquait plusieurs apprentis vignerons à l’appel, un jeudi matin. «La veille, ils étaient allés tailler la vigne sur un domaine. En fin de la journée, l’un d’eux avait dit: et si on allait boire le café sur l’Avenue des Champs-Elysées?»

Aussitôt dit, aussitôt fait! Trois jours plus tard, l’enseignant recevait une carte postale expédiée depuis Paris par la joyeuse équipe. À l’époque de Pascal Rossy, une célèbre discothèque détournait souvent les esprits les plus festifs. «Le lendemain, on voyait immédiatement, à leur tête, ceux qui étaient sortis! Sitôt que les cours étaient finis, ils descendaient au Bell’s, à Morges. Et souvent, il y en a un qui lançait: et si on partait au Macumba?»

Ceux qui avaient le malheur de se faire pincer découvraient alors leur nom sur un tableau noir, à l’entrée de l’école. Le signe qu’il fallait aller faire un tour dans le bureau de Pierre-Yves Bachmann, le directeur. «Quand on se faisait choper, il fallait payer dix balles. On n’a jamais su ce qu’il faisait de cet argent!», rigole Pascal Rossy.

Cet argent, pourtant, avait une affectation bien précise: il servait à financer les célèbres camps de ski. «C’était l’évènement de l’hiver à Marcelin», souligne Albert Trolliet.

Les sorties à la neige étaient également financées par le mythique bar à lait. Les élèves y vendaient des boissons et des yoghourts faits maison sous la houlette du chef cuisinier, qui ont donné son nom à cette fameuses buvette.

C’est là, aussi, que les élèves avaient officiellement la possibilité de se croiser, en fin de journée. «Le soir, quand on avait fini nos tâches, on pouvait monter un moment vers les garçons, se remémore Katherine Tétaz. Personnellement, je n’avais pas le temps de participer à ça. J’avais trop à faire, car je ne maîtrisais pas bien le français. Du coup, je devais beaucoup travailler mes cours…»

D’illustres élèves

L’histoire de Marcelin a démarré en 1922 avec l’école d’agriculture et l’enseignement ménager rural. En près de 100 ans d’existence, le site a vu défiler presque tout le monde rural vaudois. Parmi eux, de nombreuses personnalités qui se sont illustrées par la suite sur le plan politique. Albert Trolliet se souvient de plusieurs d’entre elles. «Dans la députation actuelle, au moins une dizaine d’élus ont fait partie de mes étudiants», souligne-t-il. Un certain Guy Parmelin, actuel président de la Confédération, également, a fréquenté ses cours. «C’était un étudiant sage et appliqué», glisse-t-il à propos du chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche. Pierre-François Veillon, ancien conseiller d’Etat vaudois, ou Luc Barthassat, ex-ministre genevois, ont également foulé les bancs de la célèbre institution. A l’époque, les agriculteurs protestants du bout du lac faisaient en effet leurs classes à Morges, tandis que les catholiques se rendaient à Châteauneuf, en Valais.

Une école à tout faire

Pour décrocher son CFC d’agriculteur ou de viticulteur, il fallait avoir suivi les deux hivers réglementaires de cours à Marcelin, puisque c’est durant la saison froide que les apprentis y étaient attendus. Pendant longtemps, les classes ont été plutôt remplies de garçons, même si quelques filles se sont invitées à leurs côtés. Pour parfaire leurs connaissances, l’école disposait d’un petit domaine habité par «une vingtaine de vaches, quelques chevaux et des cochons, se remémore Pierre-Yves Bachmann, ancien directeur. Avec l’évolution de la formation, la ferme, en tant qu’outil de démonstration, a perdu de sa valeur». Avant ça, elle servait aux travaux pratiques. «Je me rappelle que j’avais dû aller traire une ou deux vaches, un soir, pour mon examen d’apprentissage», note Pascal Rossy.

Du côté de l’Ecole ménagère, les femmes – les hommes n’ont fait leur apparition au Cemef que récemment – se rendaient à la nurserie de Marcelin pour apprendre à s’occuper d’un enfant. Durant l’hiver 2005-2006, Chantal Tétaz a fait partie de la dernière volée à avoir profité de cette pouponnière, qui n’existe plus aujourd’hui. Les élèves s’occupaient aussi du poulailler de la ferme, tout en suivant des cours de cuisine, de couture, de repassage ou de ménage. De quoi devenir une vraie fée du logis.

Une aventure humaine

Si toutes les jeunes filles issues de famille d’agriculteurs venaient faire leurs classes à Morges, certaines débarquaient tout droit de la ville. «Il y avait des notaires ou des banquières qui voulaient avoir des connaissances ménagères ou rurales», se souvient Katherine Tétaz. Cela constituait un sacré prestige de faire partie des Marcelines. «À l’époque, c’était aussi un tremplin. Beaucoup rêvaient d’épouser un agriculteur. Les hommes disaient que si une femme avait fait Marcelin, elle était bonne à marier.» Par la suite, l’esprit a bien changé. Il n’empêche, Chantal Tétaz y a engrangé bon nombre de trucs pratiques. «C’est une école de la vie, insiste-t-elle. Quand on prend un appartement, on sait l’entretenir de A à Z. On apprend notamment à organiser une cuisine: ça paraît tout bête, mais c’est super-utile!»

Mais ce qu’elle retient surtout, c’est l’aventure humaine et l’enrichissement personnel que ça lui a apporté. Une expérience fort différente de celle de sa maman, qui potassait tous les soirs: «Les notes, c’était une pression, dit Katherine. Si on ratait Marcelin, on était la honte du canton!»

REPORTAGE CAROLINE GEBHARD / LA CÔTE

Écrivez-nous ce que vous a appris l’École de Marcelin
Nombre d’entre les personnes qui lisent le présent article ont étudié à Marcelin, que ce soit à l’Ecole d’agriculture et de viticulture ou à l’Ecole ménagère. Nombre d’entre vous y ont donc appris nombre de choses. Parmi toutes ces choses, écrivez-nous celles qui vous restent encore et que vous aimeriez partager avec celles et ceux qui n’ont pas vécu l’expérience Marcelin. Vous pouvez aussi nous envoyer des photos de Marcelin, par exemple des photos de volées d’élèves. L’idée est de partager des expériences, des apprentissages, des petits trucs sympas à réaliser dans le ménage ou dans le jardin pour que l’on ait à notre tour quelque chose en nous de Marcelin!

Pour nous écrire, préférez l’e-mail: info@journalcossonay.ch ou alors par courrier postal à:
Journal de la Région de Cossonay
Passage Vy-Neuve 1
case postale 81
1304 Cossonay-Ville.

Grand merci à vous et on se réjouit de vous lire!

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