En 1804, la caisse communale se vide et la Municipalité de Cossonay décide de vendre plusieurs prés communaux, par exemple aux Linardes et aux Terraillets, pour couvrir les dépenses les plus urgentes. Le 20 février 1805, quand le Conseil communal discute des conditions pour la vente, un événement inouï se produit. «Il s’est présenté un rassemblement de femmes ayant en tête la femme du Citoyen Alexandre Guex», en compagnie de 17 autres épouses et veuves. Comme il était d’usage, les femmes sont désignées dans les PV par le nom de leur mari. Elles ferment la porte à clef et exigent que la Commune renonce à la vente. Surtout, elles disent vouloir défendre leurs biens «puisque leurs maris ne savent pas les défendre». Sommées de se retirer, les femmes refusent. La meneuse, Mme Guex, est condamnée à 24 heures de prison, mais le Juge de Paix ne l’appréhende pas, estimant que les femmes résisteront à la force. Le lendemain, la Municipalité se réunit à nouveau, mais aucune autre mesure correctionnelle n’est mentionnée. On remet l’affaire au tribunal et on invite une dizaine de gendarmes avec un officier à venir de Morges pour maintenir l’ordre pendant la vente. Celle là a finalement lieu le 4 mars et les gendarmes quitteront Cossonay quatre jours plus tard. À leur départ, ils reçoivent un certificat de bon comportement.

43% des pâturages pour Allens

Pourquoi cette rébellion? Sur le fond, c’est la fin de l’Ancien Régime en 1798 et les conséquences politiques et économiques qui en découlent. En août 1804, la Municipalité met fin à un usage selon lequel tout le monde pouvait faire pâturer son bétail aux prés communaux, distribués un peu partout dans la commune. Désormais, chaque citoyen peut louer une parcelle de pré, une «toche», pour un temps limité. Quelques dizaines d’habitants, surtout d’Allens, s’opposent à cet arrangement. Le texte de leur pétition n’a pas été retrouvé, mais la réponse de la Municipalité donnée le 5 janvier 1805 laisse en deviner le contenu.

Selon l’exécutif de l’époque, le nouveau système permettra de tirer des revenus des terres jusqu’ici peu rentables: «Les pétitionnaires veulent que ces terrains ne produisent rien, en les laissant sans culture, et alper par le bétail de quelques uns d’entr’eux, alpage si chétif en lui même que l’on peut dire que, déduction faite des frais de berger, de cloison, de perte d’engrais, de perte de temps pour le bétail qui doit servir aux ouvrages de la campagne, après lequel il faut constamment courir pour le réduire ou le rassembler lorsqu’on veut l’employer, de perte de temps pour ceux qui doivent le conduire, il se trouverait que ces fonds sont plutôt un mal pour ceux là (…) que de leur être utile.»

La Commune ajoute que la plupart des 34 signataires sont des mineurs, des domestiques et des citoyens qui ne possèdent pas de bétail. Le noyau dur de l’opposition serait «une douzaine d’individus qui ont un nombre de bétail équivalant à tout ce que le reste en possède », d’où leur intérêt à maintenir l’ancien ordre des choses. Aussi, pendant l’Ancien Régime, Allens ne comptait que 10% des habitants de la commune mais disposait de 43% des pâturages communaux. La Municipalité voulait abolir cette inégalité.

Le cadastre de 1808 nous renseigne davantage sur les motifs des insurgées. Un chef de famille à Cossonay ou Allens disposait en moyenne d’une fortune de 1857 francs, dont 80% en terres et 20% en bâtiments. Or, trois maris des insurgées, domiciliés à Allens, possédaient deux ou trois fois ce montant. Cela confirme l’insinuation municipale que l’opposition dure venait d’Allens et pas des plus pauvres. Nous ignorons les motifs individuels des autres protestataires, mais c’est probable que la rancune en faisait partie, puisque fin 1804, plusieurs d’entre eux avaient écopé d’une amende pour avoir fait pâturer leurs animaux sur les fonds communaux quand cela n’était plus permis.

Michel De Vaan
Privat-docent à l’Université de Lausanne, section des sciences du langage et de l’information, Michiel de Vaan parcourt les archives des siècles passés à Cossonay

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