RÉCIT MOUVEMENTÉ (ET SANS MOUVEMENT AUSSI) DU RETOUR DE VACANCES D’UN DE NOS CORRESPONDANTS

Après avoir vécu une fin d’année 2019 perturbée, notre correspondant Pierre-Alain Pingoud a pris un mois consécutif de vacances dans sa seconde patrie de coeur», le Brésil. Son épouse étant retenue en Suisse pour des raisons professionnelles, il est parti seul le 24 février dans un monde où le coronavirus n’avait pas encore produit ses effets dévastateurs. À ce moment l’Italie annonçait une quatrième victime du virus. Près d’un mois plus tard, au retour de Pierre-Alain le 20 mars, la Protection civile italienne recensait 627 morts supplémentaires dues au Covid-19 en 24 heures. La Botte connaissait ce jour-là une hausse des décès de 18,4 %, avec un bilan dépassant les 4000 morts (bilan qui s’est aggravé pour atteindre 6820 morts à peine quatre jours après). Nous avons demandé à notre correspondant de raconter son retour en Suisse, dans un pays totalement différent de celui qu’il avait quitté…

Lundi 16 mars, mon épouse Rita me téléphone à l’aube. Elle m’informe que la situation en Europe est devenue épouvantable à cause du coronavirus. De son côté, elle m’annonce qu’elle doit fermer son institut de beauté. Face à cette crise, elle me conseille de rester au Brésil où la situation semble être plus calme. Hélas, ce n’est pas le cas. La veille, à São Paulo, le groupe Backstreet Boys a dû se résoudre à annuler son concert et, j’entends que des commerces brésiliens ferment leurs portes. Un peu plus tard dans la journée du 16 mars, les médias font état d’une première mort due au coronavirus au Brésil, dans l’état de São Paulo. Les kiosques et barraques de plage ne peuvent plus ouvrir, les rassemblements sont déconseillés. Les pompiers et la police passent avec des véhicules équipés de haut-parleurs pour aviser qu’il est préférable de rester à la maison.

Des files se forment devant les pharmacies, drogueries et magasins vendant des masques ou du gel hydroalcoolique. Les supermarchés se remplissent de clients achetant d’incroyables stocks de marchandises. Les rues se vident, le trafic diminue.

La plage de Copacabana est déserte

Après une marche, durant laquelle j’ai réfléchi suite au coup de fil alarmant de Rita, l’agence de voyage m’informe que l’excursion que j’avais prévue le lendemain à Búzios est «reportée à une date inconnue». La préfecture de la ville a décidé d’interdire l’entrée de tout étranger arrivant en bateau de croisière ou en bus d’excursion! Je m’interroge: dois-je rester au Brésil ou repartir en Suisse? Ma décision est prise lorsque je vois les compagnies aériennes annuler de nombreux vols suite aux fermetures des frontières en Europe et aux Etats-Unis. Un ami m’avertit que les autorités suisses intiment aux citoyens helvétiques bloqués à l’étranger de rejoindre leur pays le plus vite possible par leurs propres moyens. Selon la loi, les ressortissants suisses ne peuvent pas revendiquer le droit à un départ organisé d’une zone de crise ou d’une situation de crise. Je tente à multiples reprises de joindre Air France pour connaître les vols disponibles. Ni le site internet, ni l’application, ne permettent d’obtenir des réponses et le téléphone est toujours occupé. Là, je commence à flipper!

Mercredi 18 mars, je partage le repas de midi avec mes beaux-enfants Breno et Karolina ainsi que Rodrigo, son fiancé, puis je les emmène au bar du trentième étage du Rio Othon Palace pour admirer ce que je considère comme l’une des plus belles vues du monde: la baie de Copacabana. Ce palace où ma petite soeur chérie nous avait offert la chambre pour notre nuit de noces, le 30 juillet 2011… Un peu moins romantique ce jour: le bar et la piscine sont vides, mais surtout, en contrebas, les cinq kilomètres de la plage sont tout aussi vides! Oh oui, ce coronavirus doit être une sacrée saleté!

Ouf, ça y est: par courriel, on m’annonce que le vol AF 467 de jeudi soir 19 mars devrait quand même décoller; par contre la correspondance Paris- Genève de 13h est annulée. Mais ça, c’est moins grave. L’important est de traverser «la gouille» le plus vite possible.

Jeudi après-midi, un chauffeur de taxi m’emmène à l’aéroport international de Rio de Janeiro/Galeão. Il me raconte que, la veille, il a pris en charge un client italien, mais que son vol a été annulé au dernier moment. Du coup, il me propose d’attendre à l’aéroport pour voir si la compagnie maintient mon vol. M’accompagnant au balcon Air France, il a été heureux – mais pas autant que moi – lorsque j’ai obtenu ma carte d’embarquement! Il m’a alors quitté, me serrant longuement la main et m’embrassant à la mode brésilienne, tout en me souhaitant un excellent voyage! Le vol fut très bon, ponctuel et, comme d’habitude, j’ai eu la chance de pouvoir dormir les trois quarts des dix heures et trente minutes de trajet.

En revanche, le réveil est brutal. Les informations données sur l’écran de télévision ressemblent davantage à de la science-fiction qu’à la réalité! Un seul thème abordé: le coronavirus et toutes les impressionnantes conséquences qui en découlent sur nos sociétés humaines.

Un aéroport de Roissy sans voyageurs

Peu avant d’atterrir à Roissy-Charles-de-Gaulle, je regarde par le hublot: en bas, les autoroutes sont absolument vides! Pas une voiture! Quand nous débarquons, c’est la douche glacée chargée de bizarres sensations: l’aéroport, d’ordinaire bondé de voyageurs, est désert. Toutes les boutiques sont fermées, ainsi que les restaurants.

Mon vol sur Genève, prévu à 13h, étant supprimé, je dois attendre jusqu’à 18h. Impossible de manger quelque chose: seuls sont à disposition des distributeurs permettant d’acheter une boisson et un sandwich sous vide… pour autant que l’on ait de la monnaie en euros!

Les voyageurs, qui étaient si gais le 24 février, sont tristes en ce vendredi 20 mars. Déambulant comme moi dans les couloirs du terminal, ils évitent de se croiser les uns les autres. Une partie porte des masques, d’autres poussent les portes avec un pied pour ne pas salir leurs mains. Certains dorment parterre, avec leur sac de voyage comme oreiller; des enfants crient, leurs parents réclament parce qu’ils crient. Toutes les trois minutes, les haut-parleurs diffusent en plusieurs langues des messages liés aux mesures à prendre pour enrayer le coronavirus. Dehors, pratiquement aucun mouvement d’avion, ni même de petits tracteurs amenant les bagages. Les chantiers sont clôturés. La vie semble s’être arrêtée.

À 18h, je m’installe dans le vol pour Genève. L’avion est presque vide. Le pilote explique que le personnel de bord a été limité et qu’ils ne peuvent nous servir… qu’un verre d’eau. L’arrivée à Cointrin n’est pas plus engageante: des douaniers nous contrôlent au débarquement. L’aéroport paraît être en état de siège, l’accès est interdit par la police à toute personne qui n’est pas en possession d’une carte d’embarquement. La protection civile a été engagée en renfort. Dommage que je ne sois pas en voiture, car toutes les places de parc sont vides!

Le train lui aussi est vide, mis à part un voyageur qui a l’air aussi paumé que moi, même plus puisqu’il préfère s’installer dans le wagon suivant! En gare de Genève, personne ne monte et comme c’est un direct sans arrêt jusqu’à Lausanne, je suis la seule personne dans «mon» wagon!

Je me sens comme un extraterrestre

À Lausanne, j’ai juste le temps d’aller acheter du pain avant ma correspondance. Je prends une baguette en rayon et cours à la caisse pour le payer. Je me fais alors enguirlander par la caissière, car je n’ai pas respecté les deux mètres de sécurité avec la cliente précédente. En m’excusant, je lui dis que je ne connaissais pas cette directive. Ce à quoi elle me répond avec une pointe d’ironie pas méchante: «Non? Si je puis me permettre Monsieur, de quelle planète débarquez-vous?»

Cette espiègle employée a raison. Je me sens un extraterrestre dans ce pays qui est le mien. Après un mois d’absence, tout a changé! Le travail n’a plus d’importance, les finances n’ont plus d’importance, les délais n’ont plus d’importance. La seule chose importante désormais est la santé. Et l’être humain en revient aux vraies valeurs: la solidarité – bravo aux personnels de santé et à tous les bénévoles qui s’engagent –, l’entraide, le respect, le partage, l’empathie, le commerce de proximité. Le rythme de vie s’est ralenti, les achats ne sont plus limités qu’au strict nécessaire, les commerces locaux sont rois, la pollution diminue, etc.

Après l’ouragan reviendra le beau temps

Oh oui, je retombe personnellement de haut: je m’aperçois que j’ai sous-estimé le problème. Que voulez-vous, au Brésil, c’était un peu comme la chanson: «Vacances j’oublie tout». Et puis, lorsque j’étais là-bas, la vie se déroulait normalement. De surcroît, Jair Bolsonaro minimisait la gravité de la situation. Le 15 mars, alors que des rassemblements de soutien au président brésilien avaient lieu, ce dernier est apparu à la réunion organisée à Brasilia, serrant des mains et prenant des selfies avec la foule à l’extérieur du palais présidentiel. Il n’a pris aucune mesure de protection.

Ce qui est certain, c’est que notre planète retombe d’encore plus haut! Comme vous, mon espoir est que ce tsunami mondial se termine le plus rapidement possible. Cela dit, tout comme vous aussi, je pense que ce coronavirus a eu un mérite, celui de nous faire prendre conscience de certaines choses sur notre mode de vie: la mondialisation, la surconsommation, la construction à tout va, etc.: tout doit être remis en question avec, à mon avis, cette ligne de conduite générale: l’essentiel doit primer sur le superflu.

Après l’ouragan reviendra le beau temps, restons confiants.. et surtout, dans l’immédiat, restons à la maison! Maintenant, cela, même moi je l’ai compris!

Texte et photos Pierre-Alain Pingoud

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