Le peintre de Mont-la-Ville écrit une carte postale d’un endroit où il a posé son chevalet. Aujourd’hui, il est inspiré par le bas du village de Montricher.

À Sylvie

Chère Sylvie, Wilson peut ronronner tranquillement: je ne m’installerai pas sur ton balcon, mais en bordure du parc aux chevaux.

Humant l’air vif avec mes naseaux, je salue les équidés qui broutent paisiblement. Sur un fond vert, je trace au fusain ma composition. Avec ma queue de cheval, je passerais presque inaperçu. Mais une cavalière tirant son destrier en direction du manège me lance: «Vous avez trouvé un bon spot!». Oui, le regard galope jusqu’aux Alpes, et c’est beau. Sorties de leurs tubes, les couleurs trottent sur la toile de lin, sorte de manège rectangulaire sur lequel je réalise figures et acrobaties du bout du pinceau. Avec ce ciel tourmenté aux accents violacés, il ne manque que Napoléon sur le cheval blanc pour rappeler le tableau de Gérard célébrant la victoire à Austerlitz.

À force d’être debout, j’ai mal aux sabots. Mais il y a plus grave: je n’arrive pas à dompter ce fond vert trop prégnant. Sans monter sur mes grands chevaux, j’ajoute des couleurs complémentaires, mauve, brun et rose pour les herbes, afin d’équilibrer l’harmonie chromatique. C’est tiré par les crins, mais pourquoi pas? De la fantaisie! Ça ne changera pas le goût du foin qu’un étalon broute à côté. Une bourrasque et mon «cheval-lait» vacille, la toile se cabre, menaçant de tomber dans le crottin. Je l’attrape au vol juste à temps, avec l’adresse d’un jockey. Rompu par les émotions, j’aspire maintenant à rentrer au box où m’attend une soupe… aux flocons d’avoine.

GILLES-EMMANUEL FIAUX

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