« La campagne est aussi une magnifique école de liberté »

Le dernier jour du mois de mai, Cosette Haenny avait invité Blaise Hofmann à La Grange aux livres, pour venir parler de son dernier livre «Faire paysan». Sorti en mars, il connaît un incontestable succès. Soirée passionnante, suivie par un nombreux public attentif, concerné. L’occasion pour nous de poser quelques questions à l’auteur.

Blaise Hofmann, vous le dites à plusieurs reprises, vous vous sentez «entre deux», fils de paysan ayant fait des études universitaires et menant une carrière d’écrivain. Comment ont réagi les paysans que vous avez interviewés pour élaborer votre livre? Se sont-ils sentis compris par un des leurs ou regardés par un «bobo» de la ville?

– J’emploie aussi dans ce livre mon point de vue d’ex bobo urbain (j’ai vécu 15 ans à Lausanne), mais j’ai tout de même grandi dans une ferme active, j’ai été moutonnier, j’exploite depuis cinq ans un hectare de vigne… Tous les paysans cités ont eu un droit de relecture et ont reçu le livre avant publication. Même le paysan avec lequel je me suis écharpé dans le chapitre 2 à propos du glyphosate m’a lu et envoyé un touchant message, espérant qu’un maximum de gens lisent ce livre.

Les retours que vous avez eus après la parution de «Faire paysan» ont-ils modifié votre manière de voir?

– Je me suis aperçu que la situation suisse est finalement très similaire à celles vécues par les paysans français ou belges. J’ai surtout compris que l’agriculture est une vraie préoccupation actuelle de la population. Et puis, que des dossiers progressent, comme la question des marges – que je considère comme scandaleuse – que gagnent Coop et Migros sur le dos des petits producteurs, et surtout sur leur manque de transparence.

Avez-vous eu des réactions hostiles? Vous a-t-on insulté?

– Une seule fois, mais avec respect, dans une librairie militante, dans l’Ariège, à Foix, près de Toulouse, un espace radical qui n’a plus du tout envie d’entendre parler de «l’ancien monde paysan».

Les réactions émotionnelles fortes viennent-elles surtout de femmes, de paysannes ou d’ex-paysannes ayant fui le monde rural?

– Lors de la soirée à La Chaux, la réaction d’une fille de paysans était révélatrice d’une situation qui, heureusement, a évolué. La séparation des tâches en fonction du genre, l’école d’agriculture pour les hommes, l’école ménagère pour les femmes. Le bétail, les grandes cultures et le tracteur pour les premiers; les petits animaux, le potager, les tâches manuelles et domestiques pour les secondes. Des femmes qui ne cotisent pas, ne touchent pas de salaire, ne sont pas propriétaires, etc.

Ville-campagne, un dialogue de sourds?

– Oui, c’est le point de départ de ce livre: le débat stérile lors des votations sur les produits phytosanitaires en 2021. Mais j’ai l’impression que la pandémie et la guerre en Ukraine sont en train de changer la donne. De plus en plus de citadins s’essaient aussi à la terre, et comprennent mieux les enjeux complexes du métier.

On assiste aujourd’hui à un engouement pour le retour à la terre de celles et ceux souhaitant échapper à l’engrenage du toujours plus et toujours plus vite de la société urbaine. Ces néoruraux ont-ils pu tirer une leçon de l’échec de ceux qui étaient allés élever des moutons dans le Larzac dans les années 70?

– Je ne suis pas certain que le «faites labour par la guerre» du Larzac ait été un échec: on en parle encore! Aujourd’hui, ces initiatives d’agriculture alternative (micro-ferme, micro-maraîchage, etc.) sont audacieuses, collectives, enthousiasmantes. Elles sont les laboratoires de l’agriculture de demain; mais on ne changera pas l’agriculture sans les agriculteurs. La solution doit se trouver quelque part entre ces pratiques «de niche» et l’agriculture majoritaire, qui touche des paiements directs, qui occupe 99,9% des surfaces cultivées.

L’agrotourisme peut-il jeter un pont entre le monde des paysans et celui des citadins? Aider à renouer le dialogue?

– Peut-être un peu, mais il ne s’agit pas d’une politique agricole. Tous les paysans n’ont pas la fibre sociale, pédagogique. Plus essentiels, à mon avis, sont les projets de sensibilisation dans les écoles primaires.

Vous dites dans votre livre que «grandir dans une ferme est un cadeau». Le pensez-vous toujours et est-ce ce cadeau que vous avez voulu faire à vos filles en revenant à la terre?

– Clairement. Du moins, jusqu’à 16 ans… Oui, les voir aller à l’école tous les jours, à pied, sans adultes, les voir jouer dans le jardin, s’épanouir dans la ferme des grands-parents, à Villars-sous-Yens… La campagne est aussi une magnifique école de liberté.

Paysan, vigneron: même combat?

– Les vignerons ont une image plus positive auprès de la population. Cela est peut-être dû au fait qu’ils assument toutes les étapes de la production, jusqu’au contact avec le consommateur, qu’ils ont ainsi dû développer des compétences relationnelles, et que leur produit est fortement valorisé socialement et économiquement.

Le livre a-t-il atteint son but qui est peut-être de donner un éclairage sans ombres du monde paysan?

– Le but n’est surtout pas de donner des leçons, des solutions, mais de décrire les différents visages de l’agriculture, leurs enjeux quotidiens, avec nuances, de transcrire aussi les états d’esprits des petits producteurs et des consommateurs, de comprendre qu’ils feraient mieux de s’entendre, de lutter ensemble… contre les véritables bourreaux de l’agriculture: l’agroalimentaire, l’agrochimie, la grande distribution, etc.

Vous a-t-il permis de faire le point avec vous-même?

– Oui, peut-être. Je crois que ce livre est finalement aussi un hommage à mes quatre grands-parents paysans, tous décédés.

Avez-vous le sentiment d’être devenu un porte-parole?

– Un peu trop à mon goût. On m’invite en Belgique, en France, dans des librairies, des fermes,
pour parler d’agriculture, moi qui ne suis ni spécialiste, ni paysan… Mon unique but est de faire réagir, de donner de l’information, mais surtout de l’émotion, de lancer des discussions, de renouer le dialogue.

Le rêve que vous décrivez dans les dernières pages a-t-il une chance ou est-ce une utopie?

– Après 200 pages, c’est vrai que j’ai peut-être exprimé mon empreinte paysanne de manière un peu trop lyrique (rires).

Qui est-ce qui vous fait vous lever le matin? L’homme de la terre ou l’écrivain voyageur?

– C’est plutôt le rire de nos filles, puis tout ce qu’il reste à découvrir, rencontrer, déguster, lire, visiter, aimer, vivre.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE NORA
PHOTO: ROMAN LUSSE

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