Théâtre du Pré-aux-Moines

Il y a deux sortes de one-man-shows: à ma gauche, ceux qui laissent un humoriste planté derrière un micro une heure et demi durant et, à ma droite, ceux qui permettent à ce même acteur de s’exprimer corporellement. À ma gauche, ceux qui ne sont qu’une succession de vannes bien (ou parfois mal) senties et, à ma droite, ceux qui, citant Prévert, déclament haut et fort: «Pour l’humour de Dieu, ne plaisantez pas avec l’humour, l’humour, c’est sérieux!» À ma gauche, ceux qui cherchent à quantifier un nombre de rires à la minute et, à ma droite, ceux qui se départissent du besoin d’hilarité pour créer des instants de poésies. À ma gauche enfin, ceux qui ne sont que des produits du rire industrialisé et à ma droite, ceux qui s’affranchissent des codes de la malbouffe humoristique pour proposer enfin quelques chose de nouveau.

Il joint l’absurde à l’intime

Dans cette analyse dont j’assume la binarité excessive et l’extrême part de subjectivité, il semble que «Poussette!», le dernier seul-en-scène de Simon Romang appartienne à la seconde catégorie. Présentée les 27 et 28 avril au Théâtre du Pré-aux-Moines à Cossonay, cette prestation d’une heure et demi a su convaincre son public. Un public qui, pourtant, attendait le comédien au contour, tant son premier spectacle, «Charrette!», avait été unanimement salué et savouré. Pari réussi.

Quittant cette fois-ci ses récits paysans, le diplômé des Teintureries propose le récit endiablé de sa paternité nouvelle, dans une performance co-écrite avec son épouse Florence Annoni. De la conception aux premiers mois de vie, c’est une plongée détaillée dans cette nouvelle cohabitation à trois que nous offre Simon Romang. Joie de l’annonce, réaction des parents, stress au moment des contractions, impuissance face à l’accouchement, toutes les étapes du roman d’apprentissage paternel y passent.

Casse-figure, le sujet l’est assurément. Ces entrées multiples dans le domaine du privé pourraient facilement verser dans une sorte d’exhibitionnisme malsain. Pourtant, l’humoriste évite l’écueil de façon assez spectaculaire. Sachant joindre l’absurde à l’intime, il contourne le piège de l’obscène. Car c’est peut-être ça le style Simon Romang: une capacité de partir de l’ordinaire pour créer la fantaisie, de savoir percevoir en chaque situation et en chaque personnage sa part de drôlerie et de le restituer avec finesse, poésie et émotion. Le gagnant du Prix SSA 2019 accouche ainsi d’une prestation très aboutie, investie kinésiquement, vocalement et textuellement. Un beau bébé qui tournera encore quelque temps dans les théâtres romands.

Grégoire De Rham

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