Sur un toit avec des tavillonneurs

François Krummenacher, de Montbovon (FR), est en train de rénover le toit du chalet d’alpage «Les Leysalets», situé au cœur du Pays d’Enhaut. Ce chantier durera six semaines. Ces 300 m2 de toit, répartis sur quatre pans, seront recouverts de l’équivalent de 35 m3 de tavillons en épicéa local superposés en douze couches. Il faut quelque 250 tavillons par mètre carré de toit et il en coûte environ 175 francs par mètre carré au client final.

Ils sont six travailleurs à s’activer sur ce toit, aujourd’hui âgés de 16 à 71 ans, preuve que la chaîne de transmission n’est pas près d’être rompue! Chacun utilise trois à quatre kilos de clous par jour. Refaire un toit est un travail de bénédictin. Les artisans sont assis sur leur «chaule», une sorte de banc dont les pieds sont crantés pour éviter la glissade. Inlassablement, ils déplient une poignée de tavillons, comme s’il s’agissait d’un jeu de cartes, les posent délicatement sur le toit et les crucifient de leur «martèle». Cet esthétique outil «trois en un» est à la fois un marteau, une hachette et un arrache-clous. La répétition aiguise la présence et confinerait même à une sorte de méditation.

Marins de montagne

François Krummenacher a appris le métier un peu sur le tard, grâce au regretté Olivier Veuve (1954-2017). L’Ormonan de la Forclaz (VD), auteur d’un livre de référence sur son art, était d’avis qu’il fallait être un peu fou et marginal pour se faire tavillonneur. «On dit parfois de nous qu’on est ‘les marins de montagne’ et en un sens, c’est un peu vrai. Notre saison s’étale d’avril à octobre. On est souvent loin de la maison. Les nuits sont passées sur place, au cœur de la nature», résume Patrick Jamper, un autre de ses élèves.

Il faut être un solide gaillard pour tenir le rythme sur la durée et avoir le pieds sûr pour esquiver les chutes! Le métier a l’écologique air du temps avec lui et on compte une dizaine d’entreprises actives dans ce secteur de niche, rien qu’en Suisse romande. «Quand je partirai, je laisserai quelques chose derrière moi. Ces tavillons vivront 35 à 50 ans encore», conclut Hervé Schopfer, tavillonneur de Château-d’Oex, également actif sur ce chantier.

En 3 mots

Tradition
On appelle ça «la bouteille du mort». Les tavillonneurs la trouvent presque chaque fois qu’ils refont un toit. Leur prédécesseur a laissé dedans un message indiquant son nom, pour le compte de qui il avait refait ce toit, d’où provenait le bois, quand il avait été coupé et quel avait été le premier jour de pose.

Chiffres
Un tavillon mesure 45 cm de long pour 8 à 15 cm de large et une épaisseur de 5 à 6 mm. Ce bois doit être coupé dans des versants nord et au-dessus de 1’000 mètres d’altitude, à la lune descendante, pour maximiser la durée de vie des toits.

Formation
Le métier de tavillonneur ne fait pas l’objet d’un CFC. Il s’apprend sur le tas au contact de passionnés. C’est un savoir-faire ancestral dont les origines remontent au néolithique. Il reste vivant, utile et précieux, comme l’exigence de réenracinement qu’il porte en lui.

TEXTE ET PHOTOS, LAURENT GRABET

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