Du grand Legrand avec Peau d’Âne
Le 26 janvier prochain, Michel Legrand – qui s’en est allé en 2019 – aurait célébré ses 92 ans. Considérons donc l’excellent spectacle «La voix de Peau d’Âne», joué deux fois le weekend passé au Théâtre du Pré-aux-Moines à Cossonay, comme un bel hommage rendu à ce génial compositeur multirécompensé en Amérique (trois oscars, cinq Grammy Awards) et auteur de tubes mémorables qui ont fait le tour de la planète.
Comme tous les grands pourvoyeurs de chansons, Michel Legrand est moins connu qu’il n’est chanté ou fredonné. Si l’on vous écrit: «Nous sommes deux sœurs jumelles, nées sous le signe des gémeaux…», cela résonne-t-il en vous? On pourrait faire l’exercice avec d’autres versets et l’on s’apercevrait que sa musique nous accompagne depuis longtemps sans qu’on le sache vraiment.
Du français swingué
Cet amoureux fou de jazz a toujours réussi à faire swinguer la langue française, ce qui est un exploit, car qu’il faut rendre tranchant ce parler plutôt rond. Son autre particularité, c’est de produire des partitions qui sont tout sauf élémentaires. Si on visitait sa musique avec un GPS, jamais on ne prendrait les autoroutes et les lignes droites, on serait perpétuellement étonné par les chemins empruntés par Legrand pour arriver par ailleurs à la même destination, celle du plaisir de l’écoute. Et voilà pourquoi «La voix de Peau d’Âne» a réussi son coup: il n’y a rien de plus difficile que de chanter et/ou de jouer du Michel Legrand et lorsqu’on y parvient, il ne faut surtout pas que le public s’aperçoive de cette difficulté, il faut prendre le maximum de plaisir.
Voilà pourquoi le public des deux salles pleines de samedi et dimanche a applaudi à tout rompre la performance des artistes de cette toute première création complète produite par le Théâtre du Pré-aux-Moines en collaboration avec l’École de Musique de Cossonay (EMC) et Meltingpot productions, association à but non lucratif créée en 1997 qui œuvre pour la création dans tous les domaines artistiques.
On ne va pas pouvoir citer toute l’équipe qui a permis à ce spectacle d’exister, cependant on tire un grand coup de chapeau général et en particulier à Natacha Chapuis (livret et direction générale), Marc Jufer (direction musicale), Merlin Breij (orchestration), André Gambarasi (création lumière), Denis Gaillard (création sonore) et Igor Jungi (régie générale).
Sur scène, on a été époustouflé par la performance du Big Band de l’École de Musique de Cossonay, rejoint par des musicien(ne)s de l’EMC pour les cordes et les harpes, ainsi que l’ensemble vocal Lausanne Résonne; en effet – on ne le répétera jamais assez – la musique de Legrand est un «chant de mines» où le moindre faux pas, la moindre fausse note, fait exploser l’ensemble. Et de ce côté-là, aucun problème, nos oreilles sont arrivées saines et sauves au final du spectacle!
Bravo aux solistes
De la même manière, un grand bravo aux solistes, à commencer par Charlotte Thibaud-Moussouli (interprète du personnage de Peau d’Âne et qui a aussi préparé le chœur), Joanne Gaillard (formidable marraine), Filipe Resende et Vincent Gilliéron (un prince et un roi talentueux).
Le dernier mot, on le laissera à Michel Legrand qui, en 2015, déclarait ceci sur BFMTV: «Je n’ai jamais appartenu à aucune filiale, aucune école, aucune mode. Quand j’ai travaillé pour le cinéma français ou américain, j’étais presque toujours à contre-courant. Je cherche toujours une idée originale, je ne veux pas faire une musique qu’on attend. Quand je vais au cinéma aujourd’hui, j’entends la musique et je m’emmerde… J’ai entendu ça 500 fois. Dans mes compositions, c’est toujours intéressant. On aime ou on n’aime pas, ça m’est égal, mais c’est original, il y a des idées, de l’imagination, ça parle. Au cinéma, la musique est un nouveau dialogue. Elle doit raconter, ce n’est pas quelque chose de plat. Il y a beaucoup de metteurs en scène qui m’ont dit: «Mais si je mets ta musique sur ma scène, on ne voit plus ma scène». Je répondais: «Non, c’est très bien, on entendra ma musique!»
PASCAL PELLEGRINO