Une des plus précieuses sources pour l’histoire médiévale de Cossonay est un cahier de comptes datant des années 1379 à 1381, quand Louis II était le seigneur du bourg. Ecrite en latin, cette comptabilité note les recettes et les dépenses de la seigneurie: d’un côté, ce qui entrait en cens, dîme, corvées, redevances en froment, avoine, cire, chapons, huile et autres; de l’autre côté, ce qu’on dépensait pour rembourser des dettes, entretenir les bâtiments et les vignes, payer le salaire du personnel, les voyages, les messagers, les obligations religieuses, et beaucoup d’autres choses.

Aux archives de Turin

Nous avons l’incroyable chance que ces comptes aient été préservés… aux Archives d’Etat de Turin! Cela s’explique ainsi: depuis Cossonay, ces documents avaient été transférés à Chambéry, alors capitale de la Savoie, probablement au début du XVe siècle. En 1563, Turin a succédé à Chambéry comme capitale de la Savoie: les archives ont accompagné la cour du duc dans son déménagement.

Cette comptabilité nous fournit énormément d’informations sur une période dont nous n’aurions eu autrement que peu de documents administratifs. Une première étude de cette source a été faite en 2015 à l’Université de Lausanne par Kevin Imhof, sous la direction du Professeur Bernard Andenmatten, mais il reste beaucoup à découvrir. Ici, je me limite à un seul thème: les vignes.

Les vignes du seigneur

À l’époque, le seigneur de Cossonay possédait des vignes à Luins et à Vufflens-la-Ville, ainsi que sa vigne privée à Cossonay; nos comptes détaillent les rémunérations des vignerons et les autres frais que ces domaines impliquaient. Voici une traduction en français: «On a payé pour l’ensemble des vignes du seigneur à Luins, travaillé par Perret du Russel, vigneron du seigneur, dans l’an qui va de Carême 1379 jusqu’à la Fête de Marie Madeleine [le 22 juillet] 1380 pour tailler, fixer, sarcler, lier, faire des échalas, semoter [= fouler le raisin], rebioler [= ôter les feuilles supplémentaires], épamprer, irriguer et autres travaux nécessaires dans lesdites vignes, y inclus [le traitement de la vigne] à l’huile et au sel [l’huile était utilisé pour lutter contre les larves d’insectes à la fin de l’hiver]. Le décompte a été fait avec ledit Perret, en présence de Jean de Senarclens et de Stéphane Velliet. Dépenses: 29 livres et 20 deniers.»

«On a payé pour la même période à Thomas Munier de Penthalaz et à ses compagnons, tailleurs de la vigne du seigneur de Cossonay, pour le travail qui leur avait été confié: 52 sous. On a payé pour la même période à Stéphane de Bauz, vigneron du seigneur à Vufflens-la-Ville, pour l’ensemble des vignes du seigneur à ladite ville, y inclus engrais et clôture. Le décompte a été fait avec ledit Stéphane, en présence de Jean Blanchet et de Stéphane d’Échichens. Dépenses: 8 livres et 13 sous.»

Latinisation du patois !

L’unicité de cette liste réside dans l’énumération détaillée des travaux des vignerons et dans leur langage. Quelques termes, bien qu’écrits en latin, imitent des verbes patois de l’époque. Comme le scribe n’en trouvait pas d’équivalent latin, il a latinisé les mots du patois: il leur donnait une apparence extérieure latine, mais en fait ces mots n’existaient pas en latin. Ainsi, la forme dissocellando (sarcler) de notre scribe cache un mot patois déssoclâ, qui en vrai latin serait dissarculare. Le mot écrit passelland (faire des échalas) cache le patois passèlâ. Quant à
semotando (qui n’existe pas en latin), il cache semotâ (semoter, fouler le raisin avant le pressurage). Le mot retrotiando (rebioler) cache retrotsî (retrocher, ôter des rejets). Enfin, rubinando (irriguer) vient de l’ancien provençal robina (canal d’arrosage).

Une grande importance

Le document liste encore des frais pour 25 cercles de serre pour les tonneaux, ainsi que les gages des vendangeurs. Au total, les vignes représentent un tiers des investissements du seigneur: elles
avaient donc une grande importance. La «vigne du seigneur», plus tard appelée Vigne du Château ou Vigne des Rochettes, se trouvait au nord du bourg, en aval de la partie haute de l’actuel Chemin des Linardes.

En conclusion, permettez-moi de remercier mes chers voisins et vignerons Alain Chaubert et Jacques Chollet de m’avoir aidé à comprendre la terminologie viticole de cet article.

Michiel de Vaan
Privat-docent à l’Université de Lausanne, section des sciences du langage et de l’information, Michiel de Vaan parcourt les archives des siècles passés à Cossonay

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