J’imagine que vous avez reçu aussi dans votre boîte cette publicité des partisans du OUI aux deux initiatives anti-pesticides de synthèse. On y voit un bébé qui est «attaqué» par le glyphosate, les pyréthrinoïdes, les organophosphorés et le chlorpyfros. Plus loin, si l’on veut se renseigner sur les arguments avancés, on doit taper l’adresse Internet suivante: vieoupoison.ch. Vie ou poison? C’est vraiment le choix que je devrai faire en mettant mon bulletin dans l’urne le 13 juin?
Je vous le dis tout net: l’exagération dans le débat politique me pose un problème. Et cela me perturbe beaucoup que l’on puisse utiliser une image de bébé en danger pour exposer des idées, quelles qu’elles soient. À mon souvenir, même la droite musclée dans ses outrances publicitaires en période de votations (on se souvient du mouton noir ou des affiches anti-minarets) n’avait pas été aussi loin dans l’exacerbation de nos pulsions, la recherche de sensationnalisme ou la volonté de jouer sur la corde sensible. C’est étonnant que des partis et des organisations plutôt situées à gauche utilisent ce moyen-là aujourd’hui.
Ce qui me dérange, c’est que ce type de publicité nous éloigne, nous les Suisses et Suissesses qui devons voter, de la réalité des arguments. C’est comme si on nous poussait à voter avec nos sentiments plutôt qu’avec notre raison. Avec le cœur plutôt qu’avec le cerveau. Or cette voie-là est dangereuse. Si tout scrutin à venir doit se muer en un combat entre deux camps irréconciliables, si toute question posée doit devenir un instrument de pression pour attaquer celles et ceux qui ont une autre opinion, on s’éloignera de ce qui fait le ciment de notre pays, soit le respect des différences culturelles et un esprit de conciliation.
Cela dit, je peux comprendre les raisons du choix de l’image-choc du bébé pour les partisans du 2xOUI; ils entendent ainsi, j’imagine, contrebalancer le déploiement conséquent de la campagne du 2xNON qui a transformé quasiment tous les champs en terrain
d’affichage! Je peux compren-dre aussi que, dans notre socié-té twitterisée où l’on ne lit plus que les gros titres pour s’infor-mer, il faut trouver des images qui marquent. Des images for-tes. Mais avouez que cette fa-çon de faire est inquiétante dans un débat politique.
Je dois être vieux jeu. C’est peut-être notre avenir qui est comme ça. Des questions tranchées et qui marquent des frontières entre deux camps. Par exemple, si c’est le NON qui gagne dans l’initiative «Pour une eau potable propre», est-ce que j’oserai encore boire de l’eau du robinet sans mettre ma vie en danger? C’est une boutade, bien sûr, dans le but d’amener cette conclusion: ne confondons pas simplification avec synthétisation.
Simplifier une question, c’est ne pas faire confiance à la réflexion et au jugement de l’autre. La synthétiser, cette question, c’est la dépassionner et réussir à exprimer une opinion en résumant la justesse et l’objectivité de ses arguments.
Pascal Pellegrino,
Rédacteur en Chef
pascal.pellegrino@journalcossonay.ch