En cette année 2021, une page s’est tournée à Cottens, puisque les Bussy y ont définitivement quitté «leur» maison. Cette famille vaudoise demeurait à Cottens depuis plus de 200 ans, et ce n’est pas moins de sept générations de Bussy qui ont occupé la maison familiale. Parmi ceux qui y ont vécu, Daniel entreprend depuis 1995 de reconstituer et préserver l’histoire familiale, ce qui a abouti à un petit livre en 2013: il est en quelque sorte le gardien de la mémoire des Bussy de Cottens. Cette démarche d’archiviste lui est venue de sa tante Véréna, qui lorsqu’il était petit lui racontait ses souvenirs et les histoires liées à la famille. Il s’agit pour Daniel Bussy d’un geste de reconnaissance envers sa famille et également un moyen de contrer l’oubli et le fait que «toute une vie ne tienne qu’en quelques dates dans les registres des archives».
Un téléphone pour tous
L’histoire de la maison des Bussy, dont la construction remonte à 1638, débute en 1832 lorsque Henri-François Bussy l’achète, en même temps que l’un des plus grands domaines de Cottens, à la famille seigneuriale des Crinsoz. Le lieu devient une pension pour étrangers à la fin du siècle. Détail intéressant, elle comprend un téléphone, fait rare pour l’époque, qui conduit les enfants Bussy à porter des messages dans le village et même au-delà.
Philippe et Madeleine sont partis à la fin 2020
La pension se transforme en pensionnat pour jeunes filles en 1911, mais ce projet sera malheureusement abandonné avec la guerre. Le domaine change ensuite plusieurs fois de mains: il est vendu aux enchères en 1926 à Lucien Gleyre de L’Isle, avant d’être racheté par les frères Bussy en 1931, qui le cèderont en 1938 à la Maison Bourgeois & Cie de Ballaigues, tout en y restant fermiers.
En 1965, Madeleine Cochet et Philippe Bussy, les parents de Daniel, se marient et s’installent dans l’un des trois appartements de la maison. Episode amusant, ils sont contraints lors de leur voyage de noces à vider leurs estagnons de benzine dans un buisson car il était interdit de passer avec à la frontière! En plus de Daniel, le couple aura trois enfants: Jean-Luc, Joël et Sylvie. Philippe Bussy devient municipal à Cottens de 1970 à 1985 et reprend le domaine en fermage en 1971. Il y sera patron jusqu’en 1996, année durant laquelle François Chevalley de Senarclens rachète le domaine aux Bourgeois pour l’exploiter. Philippe et Madeleine continueront cependant à vivre dans leur appartement jusqu’en décembre 2020.
La maman d’Yvette Jaggi était aussi une Bussy
Cette très brève chronologie ne rend bien sûr pas compte de la richesse de l’histoire des Bussy à Cottens. Au début de ses recherches, qui l’ont amené à consulter les archives cantonales de la BCU et d’interroger plusieurs membres de la famille, Daniel Bussy était loin d’imaginer l’ampleur de la matière à découvrir. Ainsi, en remontant le temps, quelques petites anecdotes liées à la famille Bussy surgissent. Par exemple, parmi les descendants d’Henri-François Bussy, l’acquéreur du domaine, on trouve Edmond Bussy, gardien de la première équipe du FC Servette à la fin des années 1940, ou encore Yvette Jaggi, ancienne conseillère nationale qui fut la première conseillère aux Etats vaudoise (en 1987) puis la première syndique de Lausanne de 1990 à 1997 (sa mère, Esther Julie Jaggi, est née Bussy).
En faisant un peu de généalogie, on apprend également qu’un autre d’entre eux, John Bussy, épouse Elisa Métraux, fille de Jean Métraux, qui a été la victime d’une tentative d’empoisonnement par Héli Freymond, le dernier condamné à mort du pays de Vaud.
Souvenirs de petits-enfants
Au-delà de cet aspect historique, c’est tout un vécu et beaucoup de souvenirs qui sont rattachés à la maison Bussy pour les membres de la famille. Daniel se souvient ainsi des matchs disputés sur le terrain de football installé entre les arbres du parc à chevaux, à côté de la maison, des cabanes dans la grange construites avec des bottes de paille, des cassées de noix organisées dans la cuisine avec ses copains de gymnase, ou encore de cette fois où ses parents l’ont laissé prendre le tracteur pour aller à Vidy fêter son diplôme de fin d’études secondaires, témoignant de leur confiance sans faille envers leurs enfants.
Les treize petits-enfants de Philippe et Madeleine Bussy gardent aussi d’excellents souvenirs d’enfance de la ferme, comme l’expriment Elorie, 22 ans: «Cottens c’était un lieu de rencontre, de rires, de blagues et de vives animations qui nous unissait toutes et tous. Nous avons passé de superbes moments et j’en garde un doux souvenir». Et Marine, 20 ans, d’enchaîner: «C’est aussi l’endroit où ma grand-maman m’a appris à planter des fleurs dans son jardin. L’endroit où j’ai passé des heures à jouer aux cartes avec mon grand-papa. Peut-être l’endroit où on faisait parfois quelques bêtises, mais chut!»
Enfin, Luana, 23 ans complète: «Pour moi, penser à Cottens fait jaillir des fragments de souvenirs qui font écho à des sensations ou des thématiques bien distinctes, telles que l’affection, la bienveillance, la collectivité, le partage, l’inventivité, mais aussi la gourmandise, les bêtises, la ruralité, les expéditions, les nuits étoilées; la famille en somme».
Au vu de tous ces souvenirs et de l’importance du lieu pour les membres de la famille Bussy, le départ de la maison en ce début 2021 induit forcément de la nostalgie. Daniel Bussy estime toutefois que «ce n’est finalement pas plus mal que notre histoire à Cottens ait pris fin alors que nous avions encore tant de plaisir à y passer du temps ensemble». Nul ne doute en tout cas que les Bussy auront marqué Cottens de leur empreinte et qu’ils n’oublieront pas de sitôt tout ce que ce lieu a représenté pour eux.
Un reportage de Tristan Bornoz.
Un grand merci a Daniel Bussy pour l’aide apportée à la rédaction de cet article
Légende photo : La famille Henri et Elise Bussy, vers 1918. De g. à dr.: Véréna, Eva, Adèle, Henri (père), Emile, Clara, Henri, Elise, Marius, Marie.