VAUD – DÉCOUVRONS CE COL ROUTIER, PRINCIPALE LIAISON ENTRE LA VALLÉE DE JOUX ET LE PLATEAU VAUDOIS
«Depuis le 26 décembre, c’est de la folie! On n’arrête pas, c’est tout juste si on prend le temps de manger!» Ces mots sont ceux de Jade Rochat, responsable du magasin Nordic Sport au col du Mollendruz (en photo avec sa chienne sur la Une de ce numéro). Il est vrai que l’arrivée de la neige en quantité a généré une foule de visiteurs remplissant les parkings du mythique col menant de Mont-la-Ville à la Vallée de Joux. La sinistrose actuelle, liée à cette pandémie qui ne nous lâche pas – tout comme le sparadrap sur le doigt du Capitaine Haddock –, a joué aussi son rôle pour que de nombreuses familles viennent s’aérer au Mollendruz.
Cet endroit, on y a tous passé, on y a tous fait une course d’école ou des balades. Mais en connaît-on vraiment son histoire? Vous la raconter est l’objectif de cet article…
Armée et contrebandiers
Le col du Mollendruz (1184 m) est fréquenté depuis des siècles par des Combiers en mal du plat pays, ne serait-ce que pour aller s’approvisionner en fruits et légumes, en vin et autres denrées que la région ne produit pas. Par là passaient aussi l’armée, des contrebandiers, des voyageurs et commerçants. Ou plus récemment les promeneurs du dimanche. Bref, nombreux étaient ceux qui circulaient de part et d’autre du col.
Un jour un hospice fut érigé. Les gens pouvaient s’y arrêter pour boire un verre ou se restaurer avant d’affronter le reste du voyage. L’établissement était bien situé. Il ne manqua jamais de clients. Et surtout pas les dimanches, quand la foule des beaux jours inondait les pâturages et plus encore quand il y avait kermesse.
Le Mollendruz. On disait plutôt simplement Molendruz. Je vais à Molendruz, par exemple, et non je vais au Mollendruz. Et puis l’habitude de dire au Mollendruz a remplacé l’ancienne dénomination. Il en existait même une plus ancienne: Mont-Lendruz, retrouvée sur un document des Archives cantonales!
Un hospice dès 1860
La première mention d’un hospice à Molendruz date de 1860. Elle figure dans le bulletin du Grand Conseil sous forme d’une pétition d’un certain Rochat demandant une exemption de l’impôt de consommation sur les boissons pour l’établissement ouvert au col. Cette ouverture avait suscité des remous. Les gens de Mont-la-Ville y voyaient une concurrence néfaste pour leurs cafés. Finalement le Conseil d’Etat, jugeant que cet hospice, situé sur une route dangereuse (risques de brigandage), pouvait servir de refuge aux voyageurs, octroya la patente. L’exemption de l’impôt fut votée par le Grand Conseil l’an suivant.
Construit en pierres sèches, l’établissement était sommaire. On y trouvait déjà gîte et restauration et l’hôtelier devait offrir la passade; une soupe et un lit pour les indigents.
Dans une session de 1869, le Grand Conseil entra en discussion à propos de la route entre Mont-la-Ville et le Mollendruz. L’ancien tracé par la Saboterie plus pentu fut délaissé au profit d’un cheminement plus au nord en direction de La Praz. On évoque un avantage à allonger le parcours pour éviter une trop forte déclivité. Ce sera le tracé actuel dont l’aménagement fut terminé en 1872.
La Zazi, sacré personnage
Une figure haute en couleurs apparaît à la fin du siècle. Il s’agit de Lucie Jousson surnommée la Zazi. Elle est l’instigatrice de l’auberge construite en 1882, telle qu’on la connaît encore à ce jour. Elle restera tenancière pendant une vingtaine d’années. L’établissement ne disposait pas d’eau courante. L’eau était celle du toit récupérée dans une citerne et quand elle venait à manquer, il fallait aller en forêt jusqu’au puits (appelé encore aujourd’hui puits à la Zazie – un «e» a été rajouté, peut-être en référence à Raymond Queneau) pour prélever le précieux liquide et le transporter dans des bidons jusqu’à l’auberge.
En septembre 1895, la Tribune de Lausanne relate la tenue, à la demande de «l’intelligente tenancière de l’Asile», d’un marché annuel de bétail avec une centaine de bêtes, dont une vache vendue 700 Fr., une somme considérable pour l’époque.
Un article paru dans la Feuille d’avis de la Vallée en 1900 rapporte quelques souvenirs savoureux à propos de la Zazi. Elle avait maintenu porte fermée à l’encontre de deux conseillers d’Etat qui rentraient de la Vallée un soir à 21 heures en leur criant: «Ce n’est pas à des heures pareilles qu’on entre à l’auberge». Mais elle consentit à les laisser entrer après moults palabres. L’accueil fut plutôt inquiétant: un molosse au poil frisé dénommé «La Police» montrait ses crocs et deux autres chiens plus petits grondaient à ses côtés. Mais elle finit par leur servir un bon repas terminé par une gentiane maison (la tradition était déjà lancée!) avant de les héberger pour la nuit. L’ambiance du lieu est bien décrite dans cet extrait de l’article, signé Victor Favrat: «Votre verve gauloise, votre langage viril comme vos gestes…, le rire homérique qui secouait vos formes opulentes,… la demi obscurité de la salle, la bise qui sifflait dans la cheminée, tout cela avait un je-ne-sais-quoi de fantastique qui eût tenté le crayon de Gustave Doré».
Longue tradition Simond
La Zazi raconta à ses hôtes d’un soir comment elle avait mis en déroute trois escogriffes à mines de brigands en les rouant de coups puis en lâchant son chien à leurs trousses et quand les bergers à l’inalpe «pedzaient» par trop au café, elle savait que ses chiens sauraient affoler les bêtes et contraindre les convives à remettre de l’ordre dans les troupeaux! Elle n’aimait guère les gendarmes et refusait de leur servir à boire en leur disant qu’ils trouveraient de l’eau à la cure de Mont-la-Ville. On voulut lui faire des misères, la menaçant d’ouvrir une buvette en face de chez elle mais rien n’y fit. Comme elle menaçait de fermer l’auberge, on lui ficha la paix.
Elle vendit son établissement en 1901 à Constant Cardinaux qui le remit à son beau-fils Georges Simond en 1921. Une longue tradition Simond s’établit ainsi au Mollendruz. André Simond, dit Zouzou, né en 1927 au Mollendruz, relatait dans une émission de ValTV une anecdote savoureuse. Alors que sa mère était sur le point d’accoucher, une troupe de forteresse de montagne venue du Valais s’était installée à proximité de l’auberge afin d’effectuer des tirs en direction du Mont-Tendre. Entendant une déflagration, la sage-femme courut trouver le colonel (il s’avéra qu’il s’agissait du futur général Guisan) pour le prier de cesser ce boucan. Guisan comprit l’urgence de la situation et les tirs furent suspendus sans pouvoir être repris les jours suivants à cause d’un épais brouillard. Une fille (la sœur d’André) était née.
Par suite, l’officier apporta un cornet de bonbons chaque fois qu’il passa au Mollendruz. Il aurait même dit que si l’enfant nouveau-né avait été un garçon, il aurait proposé d’être son parrain!
Un bureau de poste
André Simond rappelait aussi que ses parents tenaient un bureau de poste et que sa mère livrait le courrier aux bergers des environs, et qu’enfant il allait chercher l’eau à la source de la Chergeaulaz distante d’environ un kilomètre avec une boille d’une quarantaine de litres. Il avait aussi souvenir qu’en hiver, quand tout était gelé et enneigé, on devait aller chercher l’eau avec le traineau jusqu’au Pont.
Le lieu devint progressivement un point de rencontre important. Concerts, kermesses, bals rassemblaient un large public (près de 2000 personnes en septembre 1910 pour un concert de chorales du Pied du Jura et de la Vallée). Le tenancier Simond avait mis un jeu de quilles à disposition des clients quelques années plus tard.
Etape du Tour de Suisse cycliste gagnée par Koblet
La route du col était encore souvent fermée en hiver. Elle ne fut déneigée régulièrement que depuis les années 1930. Dès la fin de la Seconde Guerre (1946), un service de bus assura le parcours Morges-Mollendruz (durée: une heure et trente-cinq minutes) pour le prix de CHF 4.- aller-retour. Pendant plusieurs années, une course de vélo fut organisée entre L’Isle et le col. Les meilleurs y montaient en moins de trente minutes. En 1950 eut lieu le passage lors d’une étape d’un Tour de Suisse remporté par Hugo Koblet.
L’affluence lors des jours de beau temps commença à poser problème et un premier parc à voitures fut construit au début de l’été 1954. L’affluence ne fit que grandir et surtout depuis l’année 1973, quand une habitante de La Praz, Claude Putallaz, fonda le désormais célèbre Centre Nordique et sa boutique Nordic Sports. Le problème du parcage des véhicules trouva une solution par la création de deux parkings de part et d’autre de la route. Entre temps celle-ci fut corrigée côté plaine par la suppression des nombreux virages entre le grand contour à la bifurcation pour La Praz et le col.
Course des Trois Cols
Le site avait ainsi trouvé une infrastructure plus adéquate pour accueillir randonneurs et skieurs grâce à la collaboration entre le restaurateur André Simond (il avait déjà aménagé une piste éclairée en 1971), les animateurs du Centre nordique et les services de l’Etat. Les Combiers avaient moins de raison de se plaindre d’avoir des difficultés, certains jours de grande affluence, à rejoindre la plaine!
Suivirent des années bien enneigées avec des rencontres et des compétitions de plus en plus nombreuses, dont la célèbre course des Trois Cols (Mollendruz, Marchairuz, Givrine) qui emmena nombre de coureurs (plusieurs centaines, certaines années) sur 70 kilomètres de pistes à travers forêts et pâturages.
Vu le succès des sports de neige et une affluence en forte augmentation, le restaurateur fit construire une extension du bâtiment (il n’avait pas changé d’aspect depuis sa création en 1882) avec deux salles de bonne dimension, plus un local en sous-sol faisant office de réfectoire, local pour le matériel, tout en maintenant, un endroit pour loger l’alambic permettant de distiller la fameuse gentiane. De plus un dortoir et deux chambres furent aménagées ainsi qu’un petit kiosque à l’entrée pour proposer les produits locaux. Ces travaux furent menés entre 1980 et 1981 et l’ensemble devint opérationnel dès l’été 1981.
Les années 1980 furent l’objet de rudes polémiques autour d’un projet du Département militaire fédéral d’aménager six positions de tir pour obusiers autour du Mont-Tendre dont une place à proximité du col du Mollendruz. Très vite des oppositions s’élevèrent et trois groupes de réfractaires virent le jour: les Derbons de La Vallée de Joux, celui du Sapin à Siméon du côté de Gimel et celui du Mollendruz. Le combat fut rude, les séances houleuses, la plupart des conseils communaux concernés refusèrent le projet et comme le DMF maintenait la pression (la Confédération est en droit d’exproprier sur tout le territoire!) et que l’affaire tirait en longueur, les trois groupes se réunirent en septembre 1985 au Mollendruz pour lancer une pétition «Sauvegarde des crêtes du Jura», avec pour objectif de récolter 50’000 signatures.
Ce furent finalement 43’000 signatures qui furent déposées à la Chancellerie cantonale en mars 1986. Joli succès! Le projet s’enlisa et l’armée trouva d’autres solutions moins bruyantes en développant, par la suite, des tirs par simulation à la caserne de Bière. On avait pourtant senti passer le vent du boulet!
Entre tirs et galerie d’art
Diverses activités se déployèrent autour du col sur la fin du siècle. D’abord celles liées au Centre nordique devenu «Mollendruz ski de fond» dès 1995. Des concours pour tous les âges, ceux pour les enfants, pour les Paysannes Vaudoises ou les avocats avec toujours, malgré des conditions d’enneigement de plus en plus précaires la fameuse course des Trois cols (elle fut abandonnée en 1988). Claude Putallaz développa aussi, dès les années 1980, la pratique du VTT par la location et l’organisation de circuits et de compétitions.
Il y eut bien quelques frictions avec des bergers et des amodiateurs mais rien de bien grave. Le nouveau tenancier de l’auberge, Pierre-Louis Kehrli mit à disposition son abri PC pour les tireurs au petit calibre de la Vallée et, amateur de peinture, il ouvrit aussi une galerie d’art dans ce même local. Entretemps l’alambic de la famille Simond avait disparu, vendu à un Combier des Charbon-nières qui distille encore la gentiane à ce jour!
L’Auberge est fermée depuis sept ans déjà
Puis se développèrent deux activités à des saisons différentes: celle des motards prenant (pas tous) la route du col pour une piste d’essai et celle plus paisible des randonneurs à raquettes, une activité devenue de plus en plus à la mode. Désormais il n’y a presque plus de morte saison au Mollendruz malgré une auberge fermée depuis 2014. À quand sa réouverture?
Un texte de Bernard Perrin
Sources: ouvrage d’Hubert Chappuis, Mont-la-Ville, la vie au village. Emission ValTV 2003, Mollendruz et environs. Coupures presse, journaux locaux par archives numérisées. Et un grand merci à Charles-André Rüchty de Mont-la-Ville qui a mis sa collection de photos à disposition. Autres photos tirées de Collection «Jadis», No 177. Victor Favrat, LE MOLLENDRUZ. Article tiré de la Revue et reproduit dans la Feuille d’Avis de la Vallée de Joux du 24 mai 1900. Editions Le Pèlerin (2006).