Cher Père-Noël,
Je t’écris comme tous les enfants qui t’expriment leurs souhaits les plus profonds. J’écris parce que je sais que tu m’écouteras sans ajouter de «mais» à la fin d’une phrase. Alors, allons droit au but: dans mes petits souliers, déposés au pied du sapin que j’ai décoré le weekend passé avec ma fille, je souhaite que tu m’apportes rien de moins… que notre vie d’avant. Parce que j’en ai ma claque de notre vie masquée et «gestes-barriérée» en 2020, j’en ai plus qu’assez de cette existence entre parenthèses.
Quand je parle de cette fatigue à mes semblables, il répondent toujours: «Moi aussi j’en ai marre,… mais on ne peut pas faire autrement». Et moi, ce «mais», je n’arrive plus à le digérer. Ou plutôt, ça fait dix mois que je dois l’avaler, comme une prescription d’un médicament et là il devient pesant. Quand je l’exprime à mes semblables, je perçois leur agacement face à cette réaction qui ne tient pas compte de la situation sanitaire actuelle: je me sens culpabilisé d’en avoir marre et de devoir encore et toujours attendre; de me réjouir un peu un vendredi et de me faire punir le vendredi d’après, dès que nos gouvernants arrivent avec leur tête d’enterrement à la télé pour nous faire avaler de nouvelles pilules. «La situation est plus ou moins sous contrôle, mais…»; «Un vaccin va arriver, mais…»; «Le peuple fournit un bel effort, mais…»; «On rouvria les restaurants, mais à condition que…»
Alors, Père-Noël, si j’ai bien compris le deal avec toi, tu accèdes à nos souhaits dans la mesure où l’on a été sage. Eh bien, je te promets que je l’ai été, sage. Très sage même! Je me lave les mains avec du gel hydroalcoolique tellement que mes mimines sont sur le point de contacter la Croix-Bleue; je mets mon masque chirurgical et j’ai même réussi à trouver la parade pour l’enlever sans retirer mes appareils auditifs; je respecte la fameuse distance physique; je ne serre plus de mains, je ne fais plus de bises, je télétravaille, je m’enregistre sur SocialPass au restau et tout le toutim. Donc, avoue que ça doit peser pas mal en ma faveur pour justifier que tu me gratifies du présent dont je rêve. Ou plutôt non, ce n’est plus «dont je rêve» mais «le présent que je reveux».
Oui, je reveux désespérément la vie d’avant, tu sais pourquoi? Parce que l’une des caractéristiques fondamentales de l’humain est sa faculté à s’adapter. De tout temps, il s’est adapté et là en ce moment, il fait carrément du zèle. Quand je vois dans les journaux ces gens qui se prennent en photo masqués ou avec une distance de deux mètres entre eux, je me dis que notre société s’habitue à cette vie aseptisée jusqu’à donner l’exemple, même si c’est prendre beaucoup trop de précautions. On est devenu des bons élèves de l’adaptation. Non seulement, on fait ce que l’on nous demande de faire, mais en plus, on le montre, on en fait davantage que nécessaire comme pour se déculpabiliser. Pire: on dénonce celles et ceux qui fautent. Ainsi, j’ai appris que, tout récemment, la Municipalité de La Chaux – qui a remplacé le traditionnel repas des aînés par une livraison à domicile –, a été dénoncée parce que les huit personnes (au lieu des cinq autorisées) ont commis le crime d’aller manger ensemble après cette distribution aux personnes âgées. Une patrouille de police s’est déplacée jusqu’à La Chaux pour mettre un terme au repas.
L’adaptation, c’est bien, mais ça peut aller aussi dans le sens contraire. S’adapter, c’est s’habituer. Et s’habituer, c’est le droit chemin vers une société qui n’est pas la nôtre. Une société qui émet des lois ou des règlements qui, sous le prétexte de gérer une situation pour le bien de tous, outrepasse notre façon de vivre. Et on le sait: plus une habitude s’installe, moins il est facile de la désinstaller ensuite.
De surcroît, Père Noël, je n’arrive pas à m’habituer à ce désert culturel, à cette vie sans culture et sans divertissements, sans une foule avec laquelle je ris dans un spectacle au théâtre du Pré-aux- Moines à Cossonay; cette vie sans voyage et surtout sans légèreté d’âme. J’ai besoin de cet essentiel-là qui fait de nous un animal différent des autres. Notre essentialité d’humain ne se résume pas qu’à boire, manger et dormir.
Enfin, Père Noël, je reveux la vie d’avant parce que je n’en peux plus de ne plus voir de sourire à cause du masque chirurgical. J’ai besoin de contact, j’ai besoin d’échanger, j’ai soif de parler d’autre chose que de ce truc qui nous pourrit la vie depuis beaucoup trop longtemps.
Alors, d’accord, tu me prends pour un enfant gâté qui en demande trop. Tu as sans doute raison. Du coup, dans mes petits souliers, je ne risque pas de trouver le cadeau tant désiré. Je ne t’en voudrai pas. La simple possibilité d’avoir pu exprimer ce coup de gueule et la simple espérance qu’il résonne aussi dans le coeur et l’esprit de pas mal de gens, ça me met un peu de baume au coeur. Voilà, Père Noël, c’est dit. Ce Noël 2020 ne sera pas aussi joyeux qu’il l’est normalement. Et, pour la première fois, j’ai déjà la gueule de bois avant la nuit du 31 décembre!
Mais…
Et là, ce «mais», je le prends à mon compte: je suis fermement convaincu que 2021 sera l’année du retour vers cette vie qui nous manque tant. Par conséquent, à toi Père Noël et à toi, chère lectrice ou cher lecteur qui a lu ce propos, je souhaite du fond du coeur un Joyeux Noël et formule tous mes voeux pour que 2021 nous apporte le sourire de la victoire sur l’adversité. C’est décidé, en 2021, j’irai dix fois plus au cinéma, au théâtre, au concert, voir un spectacle de danse ou un match de foot, assister à une soirée de société, etc. La vraie vie est nulle part ailleurs que là.
Pascal Pellegrino, rédacteur en chef
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