La famille de Charrière a occupé des positions clés dans la ville et la châtellenie de Cossonay entre 1500 et En 1583, Georges Charrière est élu banneret, soit «chef de la bourgeoisie et du Conseil» et représentant de l’autorité bernoise. C’est une promotion éclair: il n’avait accédé au Conseil de la ville qu’en septembre 1582, prenant le siège de son père Pierre Charrière.
Georges se marie immédiatement après, début novembre 1582, avec une fiancée de La Sarraz (dont le nom reste inconnu). Le prestige social des Charrière explique les efforts considérables consentis par le Conseil pour les noces de Georges. Ainsi, pour souhaiter de manière traditionnelle et festive la bienvenue à l’épouse, on fait construire un château temporaire en bois dans un pré en Pépinet, là où se trouve maintenant la déchetterie de Cossonay. Autour de cette forteresse, on pouvait mettre en scène un siège fictif entre deux bandes opposées, deux groupes locaux qui jouaient les attaquant et les défenseurs. Cet usage existait encore dans nos contrées au début du XIXe siècle.
Une fortune dépensée
Même si nos archives ne racontent pas dans le détail le déroulement des festivités, nous y retrouvons plusieurs traces. Les PV du Conseil communal de 1582 ainsi que les comptes livrés le 27 février 1583 par Antoine Favey montrent l’étendue des dépenses de la ville.
Au total, les frais se montaient à 200 florins, 6 sous et 3 deniers, plus deux brebis consommées et plus de douze sacs de blé pour le pain. Une brebis valait 3 florins, un fromage entier 1.5 fl. (= 18 sous), un pot de vin 2 sous.
Aulnes coupés à Mauraz
Pour construire le château, on coupait des aulnes à Mauraz qu’on transporta au Pépinet, puis on fixa 120 tuyaux en bois dans les «murailles» pour placer les mousquets réels ou d’imitation des assiégés.
Un maître spécialisé perçait des trous et attachait les tuyaux avec 216 douilles en fer. Tous les ouvriers et chaque personne ayant une fonction pendant la fête recevaient pain, vin, viande, fromage et autres vivres aux frais du Conseil.
Le dimanche des noces, on faisait venir de Morges des taboriniers (tambours) et des fiffers (fifres). Pour fabriquer des fusées, on commandait 51 livres de poudre, du papier, du coton, de l’arsen (arsenic) et du sallapetroz (salpêtre). Les arquebusiers de Cossonay étaient convoqués pour contribuer à la solennité de l’événement.
D’autres souldars venaient de Bettens et Daillens, villages qui faisaient partie de la baronnie de Cossonay. Bref, une vraie «Joyeuse Entrée » pour la nouvelle dame de Charrière! À Lausanne on se procura trois boîtes de dragiaz (confiserie), dont deux furent offertes aux époux tandis que la ville gardait la troisième pour elle-même.
Voici l’en-tête des comptes
ORIGINAL: Comptes que rend honnorable / Anthoyne Favey de la charge / par luy heue et despendz / soubstenuz pour les vernez / que fert Aussy pour le / chasteau de Pepenet faict / pour les nopces du seigneur / George Charriere que pour / aultres despendz pour / leffaict mesme tant pour / les taboriniers fiffers que / aultrement.
TRADUCTION: Comptes que rend l’honorable Antoine Favey de la charge qu’il avait et des dépens soutenus pour les vernes ainsi que le fer pour le château de Pepenet fait pour les noces du Seigneur George Charrière et pour autres dépens pour le façonnage même, comme pour les tambours, fifres et autrement.
Finalement, ce mariage a quelque notoriété parmi les historiens vu la mention, rare en Suisse romande, de labbaye de maulx gouvers. Cette institution, mieux connue en Savoie et dans le Dauphiné, était un tribunal parodique qui rendait la justice dans le contexte des mariages locaux.
L’abbé et ses «moines» ont sans doute joué un rôle pendant la journée puisqu’ils sont remboursés de presque quinze florins, mais les sources taisent tout autre détail que le nom de leur président, Henri Melotte.
Michel De Vaan
Privat-docent à l’Université de Lausanne, section des sciences du langage et de l’information, Michiel de Vaan parcourt les archives des siècles passés à Cossonay.
