Durant de nombreuses années, la culture de la betterave sucrière a été l’un des fleurons de la campagne vaudoise, habillant le paysage de grands carrés d’un vert intense visible jusqu’en fin d’automne. Cette culture exigeante au niveau technique, a toujours été l’apanage de passionnés maîtrisant les paramètres permettant d’acquérir un revenu financier qualifié d’intéressant.

Basculement en 2017

Hélas, tout a basculé à partir de 2017, lorsque la Suisse romande a commencé à être colonisée par la cicadelle, une petite mouche venant de Bourgogne, qui transmet par sa salive une bactérie responsable du «syndrome de basse richesse», maladie dont l’apparition demeure mystérieuse et qui fait jaunir les feuilles, atrophie les nouvelles, avec pour résultat une très forte chute du taux de sucre. Cette maladie avance de 15 km par année et atteint maintenant le canton de Soleure. Pour supporter le stockage en plein champ en attendant leur traitement à la sucrerie, il faut des betteraves saines. Certaines racines malades peuvent développer une pourriture ce qui, dans les cas graves, peut rendre le lot trop atteint impropre à l’extraction du sucre. En 2018, un reportage de la RTS informait déjà que 10% des planteurs avaient renoncé à cette culture!

Réchauffement en cause

Responsable du bureau régional du «Centre betteravier suisse» de Grange-Verney, Basile Cornamusaz a une vue d’ensemble sur les problèmes actuels des planteurs: «Le réchauffement climatique est probablement en partie responsable des problèmes actuels. Après le syndrome de basse richesse, favorisé par des périodes de sécheresse, c’est, ce printemps, une attaque sans précédent de pucerons verts que nous avons subies. Ces insectes suceurs sont vecteurs de la jaunisse virale qui est venue s’ajouter aux autres problèmes! Il faut savoir qu’à partir de 2019, l’enrobage des graines de betteraves n’a plus pu contenir le néonicotinoïde Gaucho, qui permettait de contrôler, entre autres insectes, les pucerons verts. Si cette interdiction a eu peu d’impact en 2019, ce n’est pas la même chose en 2020: on peut même qualifier cette saison de catastrophique pour la betterave. Un hiver trop doux a favorisé une prolifération de pucerons dont ont été victimes tous les végétaux. Les betteraves ne produisant pas de fleurs et étant suivie d’une culture de céréales, il n’y avait aucun risque pour les abeilles en utilisant ce produit controversé. Forte de cette constatation, la Belgique a donné une dérogation concernant l’utilisation de néonicotinoïdes dans l’enrobage des graines de betteraves à sucre, en soumettant cette autorisation à des règles strictes. C’est cette voie qui semble se dessiner en France et en Europe. L’autorisation est demandée pour une durée de trois à cinq ans afin de donner à la recherche la possibilité de découvrir et développer des variétés résistantes, tout en conservant un taux de sucre permettant aux agriculteurs de dégager des revenus corrects et motivants. Cette problématique va devoir trouver une solution rapide car l’entier de la filière sucre est en danger».

Inquiétudes quant à la production suisse de sucre

La semaine passée à Bienne, devant l’ensemble de la filière sucre suisse, le président du Conseil d’administration de «Sucre suisse S.A.», Andreas Blank a présenté quelques chiffres significatifs. La Suisse consomme 330’000t. de sucre par an dont 90’000t. sont importées. Les deux usines, ce sont 240 collaborateurs et 200 millions de chiffre d’affaire et une production en circuit court qui correspond aux standards écologiques. Avec pour argument des pertes de rendement prévisibles de 30 à 50%, la fédération des betteraviers a demandé que les producteurs suisses puissent bénéficier des mêmes dérogations que leurs collègues européens avec un encouragement à la recherche.

Sans des décisions rapides sur les mesures proposées, la surface en betteraves sucrières diminuera drastiquement et les deux sucreries ne pourront plus fonctionner à pleine capacité. Une étude économique indépendante a démontré que seul un modèle à deux sucreries permet à Sucre suisse de produire rentablement. La perte de l’industrie sucrière suisse entraînerait une dépendance vis-à-vis de l’étranger et l’importation de sucre produit de manière moins durable…

Arnold Grandjean

Gilbert Henry à Vullierens : « Abandonner totalement cette culture serait vraiment un crève coeur ! »

Gilbert Henry, agriculteur à Vullierens, est l’un de ces planteurs passionnés par la culture de betterave à sucre. Une culture introduite en 1965 par son père Arnold Henry, lui aussi passionné par la douce racine.

Rencontré sur sa parcelle fortement atteinte par la jaunisse, Gilbert Henry est désabusé: «Lorsque j’ai arrêté le bétail laitier en 1998, j’ai doublé ma surface assolée en betteraves pour la porter à 6ha. En 2000, le prix de base était de frs 13.32/100kg. Pour 2020 il est à 3.90/100kg. Depuis dix ans, une prime à l’hectare a atténué la perte enregistrée à cause de la baisse du prix d’achat des racines. Mais avec le syndrome de basse richesse, le revenu de cette culture a encore diminué. Selon les circonstances, on subit une diminution de revenu de plus ou moins 50%. Pour cette saison, avec les effets de la jaunisse accentués par la sécheresse en sus, on s’attend à une perte encore plus forte. On doit renouveler nos contrats avec la sucrerie au 30 septembre. J’attends avec impatience une prise de position des autorités concernant l’utilisation temporaire de l’insecticide à même de contrôler les pucerons! De celle-ci découlera ma décision de continuer, diminuer de moitié ou abandonner cette culture, ce qui pour moi serait vraiment un crève-coeur!»

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