« Je me réjouis que les cultes soient de retour »
Les célébrations religieuses ont repris ce weekend. L’occasion pour notre journal d’interviewer Luc Badoux, pasteur EERV à La Sarraz afin de lui demander comment il a vécu le confinement, lui l’homme d’église.
Luc Badoux, êtes-vous heureux de reprendre les cultes en ce weekend de Pentecôte?
– Bien sûr! Je me réjouis beaucoup que les cultes puissent reprendre. Et c’est très beau de pouvoir reprendre à Pentecôte. Cette fête nous rappelle qu’aucune barrière ne peut confiner Dieu et son Esprit qu’il veut donner à tous qui le cherchent, quelle que soit notre culture, notre langue ou notre parcours. Alors bienvenue à toutes et à tous ce dimanche dans vos églises!
En tant qu’homme d’église, comment avez-vous vécu cette absence ou ce vide?
– Lors de la grippe espagnole en 1918, les cultes ont été célébrés à l’extérieur, mais ils se sont poursuivis. Je ne sais pas ce qu’il en a été lors des épisodes de peste, mais c’est probablement la première fois depuis la construction des églises d’Orny et d’Eclépens aux 12e et 13e siècle que personne ne se réunit dans la paroisse pour célébrer Pâques. Alors oui, j’ai perçu un vide. Célébrer Jésus Christ qui nous dit «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé», ça demande de pouvoir se rassembler vivre quelque chose ensemble! Je me réjouis donc vraiment de revoir mes frères et soeurs dans la foi. Un peu comme les familles séparées pendant le confinement, nous aurons beaucoup de joie et d’émotion à nous retrouver. Cela dit, j’ai pu vivre de beaux échanges au téléphone et j’ai la chance d’avoir pu vivre des cultes en famille. Nous avons regardé plusieurs fois la messe et vécu le culte à distance avec une Eglise évangélique.
Cette période a-t-elle fait naître des choses positives?
– J’ai vu naître de belles solidarités parmi des voisins qui se côtoyaient sans se connaître. Des jeunes ont offert leurs services. Humains, nous sommes capables du pire, mais aussi d’une belle générosité. J’ai aussi perçu pour moi-même et pour bien des paroissiens que la foi que nous plaçons en Dieu nous donnait de la sérénité. Elle nous met à l’abri de certaines inquiétudes. Elle nous a permis de replacer cette pandémie dans le contexte plus large de notre espérance pour le monde. Dieu n’a pas déserté. Il est là avec nous.
Avez-vous connaissance de comment vos paroissiens et paroissiennes vivent ce temps?
– Les gens que j’ai contactés m’ont, pour la plupart, aussi étonné par leur calme et leur sérénité. Même celles et ceux qui ont été malades. La plupart ont des ressources morales, spirituelles, familiales qu’une période comme celle-là fait ressortir. En tant que pasteur, nous sommes attentifs aux fragilités humaines. C’est nécessaire pour faire preuve de compassion. Il est beau de voir aussi les forces des uns et des autres et de s’en réjouir avec eux.
Durant ce temps de confinement, qu’avez-vous mis en place à La Sarraz pour rester connecté avec votre paroisse?
– J’ai eu du plaisir à tourner des séquences sur YouTube auxquelles plusieurs paroissiens ont participé par la musique, le chant ou des mises en scène. Je me suis ainsi retrouvé sur le pilori de La Sarraz, le dernier de Suisse romande! Vous trouvez ces séquences sur ce site web d’hébergement de vidéos sous «Paroisse de La Sarraz». Ma collègue s’est occupée des newsletters et plusieurs paroissiens ont accepté de témoigner de ce qu’ils vivaient dans cette période. Nous avons ainsi tous été poussés à faire preuve d’un peu d’inventivité. C’est stimulant.
On a vu ci ou là des cultes d’après confinement où les paroissiens sont séparés par une distance de deux mètres entre eux. Est-ce que rouvrir des cultes sous cette forme vous interroge? L’Eglise est un lieu de réunion, de proximité, de chaleur humaine, à l’opposé de l’inhumaine «distanciation sociale» que l’on nous demande d’appliquer…
– Pas facile d’exprimer la consolation ou la fraternité dans ces conditions, mais même à deux mètres les uns des autres, il est possible d’écouter et célébrer Dieu en Eglise. Il est normal que nous appliquions les mêmes règles qu’ailleurs. Pour ce qui est des mariages en revanche, deux des trois que je préparais pour le mois d’août ont été reportés à 2021, parce qu’il est difficile de célébrer l’amour et la joie à distance les uns des autres. J’espère beaucoup qu’après la pandémie, nos relations ne garderont pas un côté «aseptisé».
S’agissant des funérailles, comment avez-vous vécu cette période?
– «Vivre sans tendresse, on ne le pourrait pas, non, non, non…». Vous connaissez cette merveilleuse chanson. Les circonstances sanitaires étaient délicates, mais je regrette que le partage de la tendresse ait été drastiquement limité. Pas facile de n’être pas plus de cinq personnes pour vivre les adieux d’un proche. Dans quelques cas, il a été possible de retransmettre un culte à des proches restés chez eux. Tout cela a changé depuis et on peut maintenant se retrouver bien plus librement pour vivre un adieu, en fonction de la taille du lieu de culte. Par ailleurs, j’ai été touché d’entendre une femme me dire qu’elle n’avait pas revu son mari en EMS le dernier mois de sa vie. Nous regrettons tous de telles situations et c’est facile de s’exprimer après coup, mais je suis convaincu qu’il nous faut chercher comment préserver ce qui fait notre humanité en situation de crise. Accompagner les malades et les mourants est une marque d’humanité importante. Alors je salue et remercie celles et ceux qui, dans les EMS, ont accompagné nos aînés, leur ont offert tendresse, rires et humanité dans cette période.
Comme le deuil n’a pas pu avoir lieu de façon traditionnelle, avez-vous proposé d’organiser des réunions du souvenir dès que ce sera possible?
– Oui, avec plusieurs familles, on vivra un deuxième temps, hors des contraintes si fortes de mars et avril. J’encourage à le faire, à parcourir ensemble le chemin qui mène à la paix.
Une question volontairement provocatrice: durant ces derniers mois, la question sanitaire a surpassé toutes les autres, et notamment la question économique. Cette question sanitaire était prioritaire sur tout. Même sur Dieu?
– La santé est un bien très précieux. On s’en rend compte quand elle manque. Mais elle n’est pas le seul bien à chérir. Une phrase accompagne tous mes courriels: «Là où est Dieu, il y a aussi amour et liberté.» Il faut valoriser et protéger l’amour, favoriser son expression en gestes et en paroles. Il nous faut de même valoriser et protéger la liberté. La Bible parle beaucoup de la liberté: celle à laquelle Dieu veut nous amener, celle que nous devons nous donner les uns autres en évitant de nous juger. J’ai beaucoup apprécié que le Conseil fédéral choisisse un semi confinement et préserve pour l’essentiel notre liberté. J’ai trouvé que l’on s’était beaucoup focalisé sur le seul aspect sanitaire. À côté des médicaments et des mesures sanitaires, ce sont les ressources morales et spirituelles qui permettent aux communautés humaines de surmonter des épreuves comme celles-là.
Cette situation que l’on vient de vivre vous a-t-elle fait penser à un verset de la Bible?
– «Préoccupez-vous d’abord du Royaume de Dieu et de la vie juste qu’il demande, et Dieu vous accordera aussi tout le reste», dit Jésus. En temps de crise, il est important de garder le cap. Pour les croyants, ce cap, c’est le Royaume de Dieu. Cela passe par l’amour du prochain et des gestes qui rendent cet amour concret. Le cap à garder, c’est cette confiance fondamentale: le règne de Dieu vient, nos vies sont dans sa main.
Votre mot de la fin?
– Je ne regarde pas les questions économiques de loin. La longue file de personnes précarisées venues chercher de la nourriture à Genève rappelle que dans de nombreux pays, des foules de travailleurs journaliers voient leur vie basculer dans la précarité. Je garde à l’esprit cette phrase de Paul Evdokimov (sauf errreur): «Se préoccuper de son propre pain est une question matérielle, se préoccuper du pain des autres est une question spirituelle». C’est une manière pour moi de saluer les gestes de partage, ainsi que les efforts de celles et ceux qui assurent des places d’apprentissage et de travail. Ils se préoccupent du «pain des autres».
Propos recueillis par Pascal Pellegrino