Elle court avec des frissons. Ça la chatouille, ces poissons, la Venoge !
Tout au long de son parcours, la Venoge accueille de nombreuses espèces de poissons. Accompagnant un pêcheur en sortie, cette avant-dernière étape de notre série tente de comprendre l’équilibre naturel qui régit le rapport entre l’animal et son milieu.
Sonder l’au-delà multiple de l’eau, percer les secrets de la rivière. Voici le principe fondamental de la pêche, commun à tous ses adeptes selon Jacques-Étienne Bovard, auteur du livre La Venoge, et lui-même amateur de pêche. Sous l’apparence banale de son eau passagère, la Venoge cache à l’oeil pressé l’extraordinaire diversité du vivant qui y élit domicile.
Pressé, mon guide du jour ne l’est pas. Nous emmenant aux abords de la Venoge à la hauteur de Moiry, Hubert Salgat, président de la section Venoge de la Société vaudoise des pêcheurs en rivières (SVPR), repère les moindres détails et leur incidence sur la pêche: météo ensoleillée mais températures favorables pour les poissons; traces de pas fraiches, un autre pêcheur est venu récemment: les poisson ne se montreront pas facilement. Ce dernier point se vérifie rapidement: nous n’attraperons que deux truites fario, trop petites pour être pêchées. Hubert Salgat les relâche et nous retentons l’expérience en amont de la chute d’eau à la Tine de Conflens.
Il ne faut pas trente secondes au vairon fixé sur l’hameçon pour intriguer une splendide truite. «La pêche au vairon joue sur l’instinct de défense territorial des truites. Elles attaquent les intrus plus par volonté de protéger leurs espaces de vie que par envie de se nourrir de l’appât», explique Hubert Salgat dans un large sourire. Prendre un poisson tient de l’enchantement pour un pêcheur qui se voit récompensé pour sa patience et sa connaissance respectueuse, quasi amoureuse du milieu naturel. Le lien en effet entre l’animal et la rivière est complexe. Un poisson n’a pas simplement besoin d’eau. Il s’intègre dans une rivière qui interagit avec l’espace parcouru. Le maintien de cette dynamique naturelle est donc essentiel à l’action des pêcheurs.
Mêmes besoins fondamentaux
Garde-pêche permanent, Alexandre Cavin, veille à la protection de la biodiversité aquatique de la Venoge: «Les poissons ont les mêmes besoins fondamentaux que les êtres humains: vivre dans un milieu sain.» L’état de ce milieu conditionne les phases de vie du poisson, de sa reproduction à son alimentation. La ponte des oeufs demande des espaces spécifiques aux espèces qui opèrent une migration le long de la rivière. «Si un cours d’eau est entrecoupé d’obstacles artificiels infranchissables, la reproduction de certaines espèces est compromise », note Alexandre Cavin.
De même, une rivière canalisée et dépourvue de végétation est inadaptée à la vie piscicole: exposées au soleil, la température des eaux atteint les 25°C au plus fort de l’été, particulièrement lors des périodes sèches de faible débit. C’est l’une des causes de la propagation de la maladie rénale proliférative (MRP), facteur de déclin des salmonidés.
De plus un cours d’eau endigué n’offre que peu de ressource alimentaire pour les organismes aquatiques, alors qu’un cours d’eau traversant une forêt génère une nourriture riche. En outre, l’homogénéité d’un cours endigué influence tout l’habitat des poissons. Plus la rivière présente des courants variés, des anfractuosités causées par l’érosion naturelle des rives, plus elle offre un habitat divers adapté aux espèces la peuplant.
Prise de conscience
Bien que constatant les dégradations du milieu naturel causées par l’activité humaine, Alexandre Cavin reste optimiste. Une prise de conscience se développe et s’accompagne d’une volonté politique concrète: améliorer la naturalité des cours d’eau à l’exemple du projet du Bois de Vaux, rétablir la libre migration piscicole par la construction de passe à poissons, assainir les eaux grâce à des stations d’épuration capables de traiter les micropolluants. Autant de mesures qui doivent permettre à la Venoge de rester ce lieu de vie si essentiel à la richesse écologique de notre région.
La Venoge et ses poissons
La Venoge peut se targuer d’accueillir une grande variété d’espèces. Plus la rivière se rapproche du lac, plus les espèces sont nombreuses. Des sources à la Tine, deux espèces endémiques: la Truite de rivière, dite Truite fario et le Chabot. S’y joignent, selon les tronçons considérés, le Vairon, l’Ombre, espèce menacée et en forte régression, le Spirlin, le Goujon. Dans les zones alluviales de la basse Venoge et dans son estuaire, on observe aussi la présence d’espèces lacustres remontant la rivière. Malgré cette diversité, il est procédé à un repeuplement de soutien partiel de la Venoge et de ses affluents: près de 15’000 truites sont mises chaque année dans le bassin versant de la Venoge à partir d’alevins produits en pisciculture mais de géniteurs sauvages. Si cette mesure peut s’avérer utile, la renaturation des tronçons canalisés, le maintien des caractéristiques naturelles de la rivière demeure essentiel au maintien de la population de truites en constante régression au cours de ces dernières décennies.
Reportage de Jonathan Muller