La cinquième étape de notre série sur la Venoge nous emmène jusqu’à l’ancien moulin de Lussery, l’un des derniers témoins d’un pan de l’histoire industrielle dans notre région. La Venoge, au bord de laquelle de nombreux moulins ont fonctionné, a ainsi longtemps été un acteur économique d’importance, fournissant l’énergie à de nombreuses entreprises.
En contrebas de la commune de Lussery-Villars, la Venoge s’écoule dans son lit canalisé depuis plus d’un siècle. Peu avant la zone alluviale du Bois-de-Vaux, on découvre sur la rive droite de la rivière, une grande maison devant laquelle posent fièrement deux roues à godets: nous sommes au moulin de Lussery, l’un des derniers en possession de roues parmi les dizaines de moulins qu’a comptés la Venoge au long de son histoire.
Depuis sa première mention dans un cadastre de 1386 jusqu’à la cessation de ses activités industrielles en 1968, le moulin de Lussery a puisé dans les ressources hydrauliques de la Venoge l’énergie mécanique nécessaire à son fonctionnement: production de farines, mais aussi d’huile de noix et de fruits écrasés. Durant le Moyen Âge et ce jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le moulin est régi par un système féodal. Les producteurs agricoles exploitant les terres seigneuriales ont l’obligation d’y venir moudre leurs grains. Ce régime est aboli à la Révolution et le moulin passe à un système libéral.
Un futur musée
La grandeur du bâtiment peut surprendre; toutefois, au gré des évolutions techniques, le moulin est devenu une véritable usine qui opère une séparation des fonctions par étage: au sous-sol, la force mécanique transmise dans les étages, au rez, les outils de mouture et finalement les tamis tout en haut servant à trier la farine par qualité.
Aujourd’hui, l’eau ne circule plus dans le bief, les roues sont à l’arrêt. Le propriétaire actuel, Eric Vion a racheté l’ensemble des bâtiments situés sur la parcelle et projette d’y installer le musée de la fondation Maison romande du paysage qu’il a créée, en plus de la remise en fonction des roues. Archéologue du territoire, il travaille à un grand inventaire des anciens moulins vaudois et montre que ces installations ont joué un rôle régional de grande importance industrielle, technique et économique.
Un outil indispensable à l’époque…
Des sources à l’embouchure, il n’est pas un village traversé par la Venoge qui n’ait eu son (ou ses) moulin(s). Au XIXe siècle, à L’Isle, Cuarnens et La Sarraz, on en compte jusqu’à sept par commune. Forge, scierie, huilerie, filature, usine électrique… Les roues activées par le courant de la Venoge ont fourni l’énergie nécessaire à de nombreuses branches professionnelles. Plusieurs zones industrielles du bassin de la Venoge occupent les emplacements des moulins d’alors. En plus d’être un rouage essentiel du développement industriel, les moulins ont été un moteur de progrès technique. Au bénéfice d’une énergie hydraulique renouvelable, les moulins ont dû trouver des moyens de traduire la force circulaire induite par la roue en un ensemble de mouvements variés. Eric Vion note que l’une des grandes révolutions propres aux moulins se situe au niveau de la façon de moudre. À partir de 1850, en remplacement des meules en pierre, les broyeurs-convertisseurs en acier, réglables au dixième de millimètres, permettent de peler le grain plutôt que de l’écraser et de ne plus produire uniquement des farines complètes. Cette mutation généralise le pain blanc croustillant d’aujourd’hui.
… devenu vestige aujourd’hui
Acteurs d’une économie locale, les moulins de la Venoge ont progressivement cessé leurs activités dans le courant du XXème siècle. L’industrie se fournissant de plus en plus en énergie électrique, les roues ont disparu. Plusieurs subsistent, comme à Cuarnens, Éclépens et Lussery-Villars, ainsi qu’au Crozet de la Tine de Conflens dont la roue en ruine a cessé de tourner en 1976, sans être toutefois alimentée en eau.
Retour vers cette énergie renouvelable?
L’écologie occupant de plus en plus les esprits, on peut s’interroger: reverra-t-on un jour des roues tourner sur la Venoge? Eric Vion, propriétaire du Moulin de Lussery, (classé monument historique) depuis 2003, en a bien l’intention pour que ce lieu renoue ses liens passés aux ressources de la rivière. L’utilisation de l’énergie hydraulique des rivières n’est toutefois pas une pratique en vogue sur la Venoge. Une prise d’eau en amont de la Tine de Conflens permet à la Romande Energie de produire de l’électricité à l’ancienne filature de La Sarraz et les Grands Moulins de Cossonay exploitent également, depuis 2014, une turbine.
Alors que la stratégie énergétique 2050 de la Suisse prévoit la sortie du nucléaire et une diminution de l’importation des énergies fossiles, l’avenir nous dira si les rivières et notamment la Venoge seront appelées à retrouver le rôle économique qui a été le leur pendant des siècles.
Reportage de Jonathan Muller