En 1982, Carlo Crisci reprenait Le Cerf à Cossonay. Trente-sept ans après, alors qu’il va fêter ses 63 ans et plus de 20 ans après l’obtention de sa seconde étoile Michelin, le chef fribourgeois toujours aussi heureux derrière ses fourneaux, décide de changer de concept au restaurant Le Cerf. «Après bientôt 40 ans de carrière au sein du restaurant du Cerf en tant que propriétaire avec mon épouse nous avons décidé d’arrêter le Cerf sous cette forme. Cela entrera en vigueur le 21 décembre 2019 pour les vacances de Noël. Les époques changent et je n’ai plus les mêmes aspirations. J’ai envie de me réinventer. Je me donne une année pour concrétiser de nouveaux projets. Pour l’instant, je ne sais pas encore quelle direction je veux prendre, mais en même temps il y a tant à faire. Je vais bâtir sur l’inconnu et continuer à innover. »
Carlo Crisci, pourquoi cette décision?
– Avec près de 45 ans de carrière au compteur, j’ai envie de faire et de voir les choses différemment. Je continuerai à m’amuser en cuisine comme je l’ai toujours fait et avec cette même passion et créativité.
Vous parlez d’évolution au sein du restaurant. Qu’allez-vous faire?
– Je ne suis pas encore sûr, mais je me donne le temps pour le savoir. Avec mon épouse, nous prendrons des décisions à la fin 2019.
La pression des étoiles est aussi très lourde à porter…
– Chaque année, on espère les avoir gardées! Il y a toujours un moment de stress avant la publication des étoiles du guide Michelin. Nous sommes responsables de ce que nous faisons en cuisine, mais nous ne sommes pas infaillibles. Or, il suffit d’une erreur. Mais si je perdais une étoile, je le verrais d’un mauvais oeil car je ne sens pas une baisse de qualité. Au contraire, il y a une progression dans notre travail.
Que représentent ces étoiles?
– L’obtention de la deuxième étoile en 1998 a été un moment magique, le moment le plus fort de nos années au Cerf. Elle représente une reconnaissance de l’important effort fourni. Nous avons aussi eu la chance d’avoir beaucoup d’autres récompenses. Mais nous sommes surtout récompensés par nos clients. Nous vivons des moments magiques tous les jours grâce à eux quand ils nous remercient. C’est un des rares métiers où les gens vous disent merci. Et voir le plaisir dans les yeux de nos clients, c’est le plus important pour moi.
Aujourd’hui avec votre épouse et votre fille aînée qui la seconde à la gestion du restaurant combien de personnes travaillent au Cerf ?
– En cuisine, la brigade est constituée de 10 à 12 personnes. À part les apprentis, tous ont entre 25 et 30 ans. En salle, une dizaine de personnes s’occupent des clients. Si on ajoute les femmes de ménage, on a 25 employés en tout.
Carlo Crisci, vous semblez toujours éprouver le même plaisir à élaborer vos plats. Qu’est-ce qui vous amuse tant en cuisine, dans votre métier?
– Le fait que rien n’est définitif. Un plat, même s’il revient à la carte, va être à chaque fois transformé par mes expériences précédentes. Le travail est donc infini. C’est ce qui rend la cuisine intéressante.
Comment décrivez-vous votre cuisine?
– J’aime dire qu’elle est vivante, en évolution, qu’elle bouge et que c’est un éternel recommencement. Ma cuisine me représente car elle a la spécificité d’être ce que je suis: italien d’origine, né en Suisse, ayant appris une cuisine française. Elle est un mélange de ces cultures.
Votre épouse est votre indispensable alliée…
– Oui, sans elle, je ne serais pas là. Elle est partie prenante de cette aventure. Elle s’occupe de la gestion, de l’accueil… Ce commerce, on l’a monté à deux. Puis, avec l’arrivée des enfants, à trois, à quatre, à cinq. Voire plus, car il y a eu les frères, les soeurs, les parents qui nous ont aidés. Ils font tous partie du Cerf. Les débuts ont été difficiles et ça reste compliqué. Ce n’est pas parce que le restaurant marche aujourd’hui qu’il marchera demain…
Vous dites souvent que vos mains prennent le contrôle sur votre esprit en cuisine.
– Oui, des fois, je me dis: «Ce n’est pas moi qui ai fait ça!» Il y a d’abord la réflexion du cerveau sur le plat, mais dès que je touche le produit, mes mains prennent le pouvoir. Elles se mettent dans un angle spécifique, adoptent un mouvement, un rythme que je ne contrôle pas. Il faut savoir enregistrer ce mouvement pour le refaire. Les cuisiniers qui travaillent avec moi vont aussi devoir reproduire le circuit du geste et avoir le bon rythme. La cuisine, c’est un peu comme la calligraphie: il faut avoir le bon rythme, sinon le résultat ne sera pas le même…