Amoureuses des objets, Sandrine leur écrit une lettre et Cat les photographie afin d’en révéler leur âme…
Aujourd’hui: Bronze de Vienne, 19e siècle, original de la manufacture Bermann, peint à la main, collection particulière.

Adorable petit bronze de Vienne qui ensoleille ma bibliothèque dans son éclatante tenue de clown. Minuscule, mais d’une merveilleuse précision. Parfait exemple du savoir-faire de la manufacture Bermann entre 1850 et 1930. Et de cet humour plein de finesse et d’ironie, si typiquement viennois, qui fait partie de l’ADN de la capitale des Habsbourg (et des knöddel aux abricots) encore aujourd’hui.

Vous appartenez à une époque révolue, toute encombrée de fiacres et de crinolines, de fauteuils hideux et de rideaux de velours à pompons. Une époque où Vienne régnait, de la Bessarabie au Trentin, sur l’Europe centrale et orientale actuelles. Sous la férule d’un empereur-soldat sanglé dans son uniforme pour près de trois générations de Tyroliens, Moldaves, Croates, Vénitiens, Hongrois… Une époque où Vienne était l’égale de Paris, toute bruissante de musiciens-stars, de créateurs scandaleux, d’audaces architecturales et décoratives d’une ébouriffante modernité. Et de gros gâteaux aux noms impossibles et aux saveurs inégalables… Ah, non, ça, ça existe encore. Ainsi que les schnitzel de la taille d’une oreille d’éléphanteau, devenus les étendards savoureux, quoique panés, de la cuisine viennoise à travers tout l’ex-empire.

Vos semblables et vous-même constituez tout un petit monde de chatons malicieux et de perroquets jouant aux cartes, de carlins-jongleurs, de rongeurs, singes, lapins, sangliers… De renards en redingotes et de batraciens en tenues de musiciens, ou dansant la valse sur une mare émaillée de nénuphars. Quelques pièces orientalistes également, ou néo-baroques, voire érotiques: l’imagination de vos créateurs était sans limite, tout comme les goûts de leurs clients. Vous étiez exportés par milliers jusqu’à Paris, Londres et New-York. On vous offrait en cadeau ou en souvenir: votre finesse d’exécution, votre charme, votre fraîcheur et votre singularité faisaient de vous des objets extrêmement appréciés. Vous l’êtes toujours.

Vous êtes unique, Herr von Dackel. Parce que vous êtes estampillé Bermann, certes. Mais aussi parce que l’artisan qui vous a créé a si bien su rendre l’espièglerie et l’intelligence qui vous caractérisent. Ce que n’importe quel compagnon (on ne saurait parler de propriétaire) de teckel confirmera: les teckels sont uniques. Irrésistibles. Impossibles. Affligés d’une surdité sélective. Et comédiens-nés.

Le costume de clown vous sied donc à merveille.

Les Américains vous ont surnommé Wiener Dog, en hommage à la saucisse dite de Vienne dont votre morphologie, il faut le reconnaître, semble s’inspirer. Vienne, encore et toujours. Oublions donc que vous êtes à l’origine un chien typiquement allemand dont je ne sais plus quel humoriste anglo-saxon a perfidement dit qu’il était «amusant de penser que le chien préféré des Allemands est un chien qui n’obéit jamais: le teckel!». Vous êtes aussi le chien préféré de la reine Victoria. De l’empereur Guillaume II. De Picasso. De Marlon Brando. D’Andy Warhol. Et, donc, des bronziers viennois… comme de l’auteur de ces lignes !

Sandrine L. Mehr – mail@rougecoromandel.ch

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